Le Festival international de jazz de Montréal a misé sur trois décennies de compétences acquises afin d'étoffer la nature de sa facture, c'est-à-dire un grand happening généraliste avec un fort argument jazzistique. Résultat pour cette respectable programmation en salle qui s'échelonnera du 30 juin au 11 juillet : foisonnement à l'extrême centre, abondance au centre droite et à droite, présence marquée au centre gauche des broutilles à gauche.

Trente ans plus tard, les grandes vedettes du plus grand festival montréalais sont devenues des artistes de «jazz variétés» et de pop raffinée s'adressant à toutes les générations d'amateurs. Les Melody Gardot, Pink Martini, Madeleine Peyroux, Jamie Cullum, Tony Bennett, Al Jarreau, Chris Botti, Brian Setzer et autres Sophie Milman peuvent-ils à eux seuls remplir les plus grandes salles? Pas tout à fait. On doit faire appel à la nostalgie rock ou pop, donc à Joe Cocker, Jackson Browne ou à l'incontournable Jeff Beck, archange de la guitare (un brin jazz) surgi d'une époque déjà lointaine.

 

Tel que prévu, les monuments et vedettes ne manquent pas à l'appel du FIJM: Wynton et Branford Marsalis, le pianiste cubain Chucho Valdés, Pat Metheny, Gary Burton, Al Di Meola, Enrico Rava, George Wein, Dave Holland, Lee Konitz, Gonzalo Rubalcaba... Et Wayne Shorter, qui montre toujours la voie; si le saxophoniste n'avait pas cette immense réputation, s'il n'avait pas joué auprès de Miles Davis et qu'il n'avait pas fondé Weather Report avec feu Joe Zawinul, sa musique visionnaire serait confinée à la catégorie jazz contemporain! Ainsi vont les «marques» ...

Comme c'est le cas chaque année, des virtuoses déjà confirmés alimenteront leur légende au 30e: Wallace Roney (qui incarnera Miles dans le projet Kind of Blue de Jimmy Cobb), Kenny Garrett, Eliane Elias, Bill Frisell, Kenny Werner, The Bad Plus, Maria Schneider et son grand orchestre (enfin!), Chris Potter, Eric Harland, Brian Blade, Greg Osby, Hiromi, Baptiste Trotignon, Robert Glasper, Mark Turner, Sadao Watanabe, Bill Charlap, Houston Person, Esperanza Spalding, Nicholas Payton, Stanley Jordan, on en passe.

On donnera raison à André Ménard, directeur artistique du festival: la série Invitation du 30e est particulièrement relevée avec trois musiciens et leaders qui offrent chacun trois menus alléchants, d'autant plus riches en substance: le trompettiste Érik Truffaz, le saxophoniste Joshua Redman, le contrebassiste Renaud Garcia-Fons.

Rien à redire non plus sur la sélection locale en salle: Oliver Jones, Ranee Lee, Julie Lamontagne, le Large Ensemble de Dan Thouin, André Leroux, l'Auguste Quintette d'Alain Bédard, un hommage à feu Éval Manigat, Yannick Rieu, Joel Miller avec Henry Hey, Michel Donato avec ses amis est-européens, Jean-Pierre Zanella et ses amis mexicains, le big band de Lorraine Desmarais, François Bourassa, Alain Caron, etc.

Force est d'observer que les découvertes ou artistes émergents s'annoncent plus nombreux que d'ordinaire. Enfin... c'est à mon sens le strict minimum auquel on doit s'attendre d'un grand festival.

Point de vue jazz, voici ce qui me semble essentiel, à tout le moins digne d'intérêt: Aaron Parks, Gerald Clayton, Dominick Farinacci, Michael Kaeshammer, Somi, Rudresh Mahanthappa, Lionel Loueke, Anat Cohen, Somi, Julian Lage.

Musiques du monde? Les chanteuses brésiliennes Luciana Souza et Joyce, la chanteuse de salsa portoricaine La India, s'ajoutent aux artistes reconnus tels Lila Downs, Oumou Sangare, Bïa et autres Burning Spear.

Pop indie, rock, urban, techno ou hip hop? DeVotchka, Melissa Laveaux, NeeMa, Po'Girl, Beirut, Thunderheist ou Estelle pourraient faire leur marque, à l'instar des Eleni Mandell, Bell Orchestre, Pawa Up First ou Mistress Barbara.

Que la direction artistique du FIJM n'aie crainte, on ne se formalisera plus de cette négation des courants d'avant-garde au sein de ce vaste événement qui s'assume pleinement. Que le retour tardif du pionnier absolu du free jazz, Ornette Coleman, n'ait pas été particulièrement souligné en conférence de presse mardi dernier, est un signe probant de cette indifférence de la direction artistique au courant essentiel que représente la tendance contemporaine sur la planète jazz. Mais bon. Considérons les Suoni per il Popolo, présentés en juin prochain à la Sala Rossa et la Casa del Popolo, comme une vraie et longue série de jazz contemporain.

So what?

 

Sept choix pour le 30e

AARON PARKS TRIO

L'ASTRAL, VENDREDI 3 JUILLET, 21H.

L'arrivée du jeune pianiste Aaron Parks dans le décor est un vent d'air frais, pour employer un euphémisme. Le moins qu'on puisse dire, c'est que son plus récent album, Invisible Cinema (blue Note), a fait boum auprès de moult mélomanes, et ce, au-delà de la planète jazz.D'entrée de jeu, la facture de ce virtuose émergent s'inscrit dans le sillage d'une nouvelle génération de jazzmen sensibles aux musiques du monde et manifestant de réelles affinités avec le rock et la pop indie de la période actuelle. Ce qui explique l'attraction qu'Aaron Parks exerce déjà auprès des jeunes mélomanes dont le jazz a cruellement besoin pour renouveler ses auditoires. De ce sideman de Joshua redman, on s'attend à un premier passage marquant en tant que leader.

Photo fournie par le FIJM

Aaron Parks

Maria Scheneider Orchestra, THÉÂTRE MAISONNEUVE,

30 JUIN, 21H30.

superbe compositrice, arrangeuse et leader de mon big band préféré, Maria schneider a fait ses classes avec feu Gil evans. Auprès de ce grand sorcier qui a orchestré les meilleurs albums de Miles Davis avec grand orchestre, la musicienne new-yorkaise (originaire du Minnesota) a parfaitement saisi les fondements d'un alliage idéal pour big band, alliage où les avancées harmoniques du jazz contemporain cohabitent admirablement avec le lyrisme mélodique, le swing et les polyrythmes du jazz moderne, ainsi que l'expression singulière des solistes qui constituent cet ensemble. Voilà autant de composantes qui se fondent dans un discours fluide, audacieux, d'une grâce et d'un raffinement incomparables. seule une femme pouvait y arriver, dois-je renchérir !

JOSHUA REDMAN, COMPASS

THÉÂTRE MAISONNEUVE, 21H30, LUNDI 6 JUILLET.

L'album Compass (Nonesuch), dont le projet artistique est (entre autres) de réunir une paire de sections rythmiques, est l'une des grandes réussites de Joshua redman depuis le début de sa carrière. La démarche avait été entreprise en 2007 avec Back East, un album en trio (sans instrument harmonique) inspiré du mythique Way Out West, créé en 1957 par sonny rollins. Pour la première étape du processus, on avait presque conclu à l'exercice de style alors que Compass se libère de toute comparaison, si ce n'est que pour la singularité de l'instrumentation (déjà observable sur certaines plages de Back East) : deux contrebasses et deux batteries soudées par le saxophone. Ce concert de Joshua redman, un des fleurons de la série Invitation, s'ajoute à ceux de son quartette (Aaron Parks, eric harland, Matt Penman) et de son quintette (Joe Lovano, Greg hutchinson, reuben rogers, sam yahel) qu'il présente au Gesù, les 4 et 5 juillet.

GREG OSBY

GESÙ, 22H30, SAMEDI 11 JUILLET.

Issu de la mouvance M-base dans les années 80, un mouvement initié entre autres par steve Coleman, Geri Allen et Cassandra Wilson, le saxophoniste et compositeur visionnaire Greg Osby a été l'invité de samuel blais, ce printemps à l'Upstairs. Concluant? Mets-en! À tel point que le musicien new-yorkais revient au Gesù, cette fois avec le magnifique sextuor dont il mène les destinées en plus d'assurer la direction artistique de sa nouvelle étiquette, Inner CircleMusic. Voilà certes l'un des passages les plus excitants au menu de ce 30e FIJM. Ce sera l'occasion d'apprécier d'autres virtuoses émergents aux côtés de GregOsby: Adam birnbaum, piano, Michael Pinto, vibraphone, Nir Felder, guitare, Joseph Lepore, basse, John Davis, batterie. Au programme, la matière du plus récent album de GregOsby, l'excellent 9 Levels.

Miles From INDIA THÉÂTRE MAISONNEUVE, SAMEDI 4 JUILLET.

réalisé l'an dernier par bob belden, un double CD nous avait mis la puce à l'oreille: autour de la musique de Miles Davis, ce projet des plus particuliers réunit des jazzmen de renom et d'illustres musiciens indiens. Ainsi, deux cultures s'expriment sur le corpus du regretté cat des cats. Ainsi, les instruments du jazz (trompette de Nicholas Payton, claviers de robert Irving III, saxophones de bill evans, batteries de Lenny White et Vince Wilburn, saxophone de r. Mahanthappa, percussion de NduguChancler) s'immiscent dans la musique classique indienne (tablas de badal roy, mandoline de U. shrinivas, sitar de hidayat Khan, mridangan d'Ananta Krishnan, flûtes et voix de VK raman). Miles Runs The Voodoo Down, Blue In Green et de nombreuses autres expériences à l'horizon.

JOYCE

CLUB SODA, 19H, SAMEDI 4 JUILLET.

Peu connue sur ce territoire, Joycé silveira Palhano de Jesus, alias Joyce, est vénérée par les connaisseurs demusica popular brasileira, plus particulièrement les férus de samba jazz dont elle est la chanteuse emblématique. Dès ses débuts à la fin des années 60, laCarioca s'est produite avec les plus grands de la bossa nova et de la MPb elle était notamment l'interprète préférée de Vinicius de Moraes, ce qui n'est pas peu dire. La chanteuse, de surcroît très bonne guitariste, fait équipe avec le batteur tutti Moreno, avec qui elle est mariée depuis des lustres. en ce qui me concerne, cette entreprise familiale a généré l'un des plus beaux véhicules dont l'objet est d'amalgamer le jazz moderne et ce que le brésil a de mieux à offrir au plan musical.

ORNETTE COLEMAN QUARTET THÉÂTRE MAISONNEUVE, 21H30, JEUDI 9 JUILLET.

Même en 2009, c'est-à-dire un demi-siècle après l'introduction du terme «free jazz», la musique d'Ornette Coleman en fait sourciller plus d'un. Il s'en trouve encore qui sont déstabilisés par les propositions audacieuses de ce saxophoniste de 79 ans, que les esprits conservateurs soupçonnent d'avoir mis de l'avant afin de camoufler ses limites techniques. Ce musicien est pourtant extraordinaire, de surcroît superbe mélodiste. sornettes sur Ornette? Absolument. ses détracteurs continuent néanmoins à lui reprocher ce style libre, parfois atonal ou arythmique, fondé pourtant sur le jazz moderne et aussi ancré dans le blues, le funk ou la musique africaine gnawa, entre autres. Sound Grammar, son plus récent album, nous ramène le grand Ornette en quartette. respect, donc. Immense respect.

Photo: AFP

Ornette Coleman