Comment ça va, l'humour québécois? À l'aube du gala Les Olivier, nous avons demandé à un humoriste, à une professionnelle de l'industrie et à un intellectuel leur diagnostic. Discussion sur les nombrils, les javelots dans le derrière et la peur du noir.  

Homogène, l'humour québécois? Louise Richer n'a qu'à regarder les nommés pour le spectacle de l'année afin de se convaincre du contraire. «On a André Sauvé, un stand-up angoissé, parfois poétique et absurde. Louis-José Houde, un stand-up d'observation qui peut nous faire passer du rire aux larmes. Les satires politiques des Parlementeries. Et aussi les sketchs à personnages des Grandes Gueules. C'est très varié. (...) Tout ce qu'il manque, c'est davantage de filles», observe la directrice artistique du gala et directrice de l'École nationale de l'humour (ENH).

L'historien Robert Aird partage ce constat. Dans l'ensemble, l'auteur d'Histoire de l'humour au Québec estime que notre humour n'a jamais été aussi diversifié. «Il y en a vraiment de tous les genres. Y compris le politique, avec les Zapartistes, Guy Nantel et plusieurs autres. Contrairement à ce qu'on croit, le politique n'a jamais été aussi présent», assure-t-il.

Aird a pourtant déjà lui-même critiqué notre paysage comique. Dans son livre, il déplorait la surabondance d'un certain genre de stand-up dans les années 90.

Cette hausse du stand-up s'explique en partie par l'argent, croit André Ducharme, membre de RBO et concepteur de la série documentaire Humour P.Q.. «Si leur proportion a augmenté, c'est à cause de l'économie. Longtemps avant la crise, les diffuseurs avaient commencé à payer moins. Par exemple, un artiste qui recevait 12 000 $ par soir en région devait se contenter de 8000$. C'est arrivé à tous. RBO ne pourrait probablement pas refaire le même genre de tournée aujourd'hui. Que font alors les artistes? Ils se produisent seuls sur scène, même si des groupes existent encore.»

Ducharme tient à déconstruire un «préjugé». «Il ne faut pas confondre la forme et le fond, lance-t-il. Deux stand-up peuvent offrir des shows complètement différents. Ce n'est pas parce tu parles à côté d'un tabouret que tu ressembles à tous les autres. Il y a autant de styles que d'individus.»

Parmi ces styles, Louise Richer note un retour de l'absurde depuis quelques années, avec les Jean-Thomas Jobin et Denis Drolet. «Je remarque aussi auprès de mes étudiants que l'humour se théâtralise, ajoute-t-elle. Ils intègrent ingénieusement des vidéos et des éléments multimédias, un peu comme le font les Chick'n Swell. Ça devrait se voir sur scène dans les prochaines années.»

Le nombril ou le coeur?

De quoi parlent aujourd'hui nos humoristes? «Comme d'autres, j'ai parfois l'impression qu'on se regarde un peu trop le nombril», avoue Louise Richer. Mais elle dénonce en même temps les nostalgiques. Ceux qui déifient les humoristes «engagés» des années 60 et 70. Tout s'explique par le contexte historique, soutient-elle. «L'humoriste est un miroir de la société. Il manque présentement de causes sociales rassembleuses comme l'émancipation nationale. Ces questions étaient sur toutes les lèvres à l'époque. C'était presque difficile de ne pas en parler. Le contraire s'observe en 2009.»

On pourrait ajouter que même à cette époque, plusieurs pondaient des oeuvres plus personnelles. Et que comme le veut le cliché, c'est en creusant le particulier qu'on découvre l'universel. Le problème se trouve donc peut-être ailleurs. Dans la facilité et la superficialité des gags sur la blonde et le beau-frère. Bref, le «je» peut devenir une qualité. À condition de provenir moins du nombril que de ce qu'on pourrait appeler la tête et le coeur.

Cette qualité, Robert Aird l'observe chez nos deux plus populaires humoristes. «Martin Matte et Louis-José Houde utilisent un peu le même procédé qu'Yvon Deschamps. Ils partent d'un fait vécu pour aborder un sujet délicat, comme l'avortement ou le traumatisme crânien. Ça casse le ton et déstabilise le spectateur. On sort de la légèreté. Les gags qui suivent deviennent encore plus puissants.»

Et l'ego de Martin Matte? «C'est un cas intéressant, analyse Louise Richer. Il n'y a pas si longtemps, beaucoup d'humoristes jouaient au gars ordinaire et un peu «toton». Arrive alors Martin Matte qui fait exactement le contraire. C'est rafraîchissant. Surtout dans notre Québec un peu complexé.»

Le consensus n'existe pas

RBO récolte désormais les fleurs pour son oeuvre. Ducharme sourit, car il a longtemps goûté au pot. «Dans les années 80, plusieurs nous traitaient d'imbéciles et de vulgaires. Ils disaient que l'humour d'avant était plus intelligent. On entend les mêmes critiquer les humoristes actuels en disant: «Les RBO étaient meilleurs, ils étaient plus intelligents». La vérité, c'est qu'on a fait notre part de niaiseries. On a quand même tourné un sketch de javelot dans le cul. Et avec beaucoup de plaisir, d'ailleurs. L'important, c'est d'avoir un minimum d'équilibre. Pour le reste, il ne faut pas chercher le consensus. Ça n'existe pas en humour.»

Et ça ne devrait pas exister, à en croire Robert Aird. L'historien insiste sur l'importance de l'humour subversif. À condition de rester drôle, bien sûr, comme l'ont appris certains spéciaux télé.

Selon Aird, cette subversion est menacée par la censure externe du public, mais aussi par la censure interne du milieu. Celle causée par la crainte de déplaire.

«Je me souviens d'une étudiante inscrite à mon cours Histoire et philosophie de l'humour à l'ENH, raconte-t-il. Elle avait passé une audition à Juste pour rire. Son numéro sur l'hypersexualisation était très drôle. Et très noir aussi. On l'a refusé. Le public ne veut pas entendre ce genre de choses, lui a-t-on dit. Moi, je n'en suis pas si certain.»

Les Olivier...

Louis-José Houde favori

Louis-José Houde part favori avec 8 nominations. Arrivent ensuite André Sauvé (5), les Grandes Gueules (4) et les Parlementeries (3). Seulement quatre spectacles d'humour étaient admissibles dans la catégorie de meilleur spectacle. «C'est exceptionnel. Habituellement, il y en a un peu plus, précise Francine Dubois, directrice générale de l'Association des professionnels de l'industrie de l'humour (APIH), qui organise le gala. Pour être admissible, un spectacle doit avoir été présenté au moins deux fois, durer au moins une heure, et la première médiatique doit avoir eu lieu entre le 1er janvier et le 31 décembre de l'année 2008.

 

Photo: Robert Skinner, La Presse

Louis-José Houde

Mode de scrutin

Comment sont choisis les gagnants ? Pour chaque prix, un différent jury de sept membres de l'industrie choisi les nommés. Les membres de ce jury «ne sont pas en conflit d'intérêt» pour ce prix, assure Francine Dubois. Leur vote compte pour 50%. L'autre moitié provient du vote des membres de l'APIH - humoristes, auteurs, agents, producteurs et diffuseurs. Deux exceptions: pour l'Olivier du meilleur spectacle, le jury est composé de 12 membres, qui ont «vu tous les spectacles». Et l'Olivier de l'année est entièrement déterminé par le vote du public. Ce vote se déroule durant le gala, par téléphone ou par l'internet.