« Là, on est dans une période de changement, comme le homard qui se libère de sa vieille coquille. C’est mou un peu, on est vulnérables, mais je trouve que ça nous garde vivants. »

Au lendemain du spectacle d’Amos, on a rendez-vous avec les cinq Salebarbes au Balthazar, sympathique et achalandé café de la 3e Avenue à Val-d’Or. C’est Jean-François Breau qui évoque l’image du homard, et ses quatre compères opinent.

C’est aussi la seule manière de grandir. Comme pour le homard, la coquille est une prison.

Éloi Painchaud

Se mettre en danger semble faire partie des gènes du groupe. Son premier album, Live au Pas perdu, a été enregistré il y a six ans au bar-spectacle des Îles-de-la-Madeleine alors que les musiciens n’avaient jamais joué tous ensemble. Ils se connaissent beaucoup mieux aujourd’hui, mais ils se lancent dans cette nouvelle tournée alors qu’ils viennent à peine de sortir leur troisième album, À boire deboutte. Et qu’ils viennent tout juste de clore la précédente, pendant laquelle ils ont donné plus de 200 représentations.

« Dans la vraie vie, tu lances un disque et tu pars en tournée six mois plus tard. Tu as le temps de te préparer comme il faut, explique Jean-François. Nous, je ne sais pas pourquoi, depuis le début on ne fait pas ça. On aime ça, être déstabilisés. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Les musiciens attablés dans un café de Val-d’Or, avec leur gérante Janik V. Dufour

C’est ce qui leur fait dire que leur premier spectacle abitibien a sonné… comme du « vintage Salebarbes » ! C’est qu’ils y ont inclus neuf des onze chansons du nouvel album, qu’ils n’ont à peu près jamais jouées ensemble sur scène, et que le public ne connaît pas encore beaucoup. Bref, la soirée d’Amos a été ardue.

« Notre précédent show, ça faisait longtemps qu’on n’avait plus le set list sur le stage, explique George Belliveau. On y allait par mémoire. Là il faut regarder notre feuille, les notes, quel violon il faut prendre… »

« Il y a une toune hier, Kevin et moi on se regardait au début, on ne se souvenait pas pantoute ni l’un ni l’autre comment ça commençait ! », raconte Jonathan Painchaud. Ils rigolent, mais il aime bien ce côté un peu « lousse et old school » du groupe.

À côté de toutes les productions ultraléchées et programmées, nous, on est un peu l’envers de cette médaille. On reçoit plein de messages de gens qui sont contents de nous avoir vus nous tromper !

Jonathan Painchaud

Petit silence. « Les gens qui veulent venir nous voir nous tromper, ils vont en avoir pour leur argent », laisse tomber George. Jonathan et les autres s’amusent. « Ça a valu le ticket après deux tounes ! »

Tous excellents musiciens, ils sont durs envers eux-mêmes parce qu’ils savent de quoi ils sont capables. Mais Jean-François aime bien cette période d’essais-erreurs. « C’est dans la création qu’on est les meilleurs. C’était ça pour l’album, c’est ça pour le show. On sort de scène, on est tout trempes, pis on repasse le show au complet. On analyse tout. C’est comme rentrer dans le vestiaire et rejouer la game de hockey. »

« On est en plein travail en ce moment. On a planté un premier piquet, mais c’est une grosse montagne », complète Éloi. Vont-ils modifier encore l’ordre des chansons pour le spectacle du soir à Val-d’Or ? « Oui ! »

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Éloi Painchaud

« Le public, c’est 50 % du show, estime Jean-François. On peut ben être dans une salle de répète et se dire : ça va être parfait de même, mais il faut qu’il nous dise ce qu’il préfère. Sinon ça va être juste un party entre nous autres. » Il estime qu’à la fin de ces cinq dates abitibiennes, le spectacle aura pas mal pris forme… ce qui ne les empêchera pas de faire des réglages jusqu’au dernier soir de la tournée !

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Kevin McIntyre

Longue tournée

C’est le début d’un long voyage pour Salebarbes, qui a devant lui une tournée qui devrait durer plus d’un an et demi. Et la grande majorité des spectacles annoncés jusqu’en novembre 2024 sont déjà complets.

On est gonflés à bloc. Nous autres, c’est juste une ride d’amour. Je pèse mes mots : on est boostés.

Jean-François Breau

Les musiciens, qui ont tous entre 45 et 50 ans et qui, à cinq, ont accumulé plus d’un siècle d’expérience de scène, sont immensément conscients de leur chance. « Il n’y a pas beaucoup de groupes qui peuvent partir en tournée en sachant déjà que tout est complet. Ça enlève un grand poids », souligne Kevin.

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S’il y a une mercerie, c’est certain que George Belliveau va vouloir jeter un coup d’œil à l’intérieur. Tout le groupe l’accompagne et pendant qu’il essaie une chemise, les autres membres achètent des bas pour leurs amis techniciens.

« Et je tiens à dire que nos collègues ne travaillent pas moins fort que nous, complète Jonathan. On a une chance incroyable. » Surtout pour un projet qui, au départ, n’avait absolument rien de « mainstream », martèle-t-il. « Avec nos vieilles tounes cajuns, nos accents gros comme le bras, ce n’était pas pensé ni performé de façon mainstream. Pourtant, en ce moment, c’est la plus grosse chose qui se passe. »