Depuis le début d'une carrière encore très jeune, Catherine Major est à gravir le sommet de notre chanson francophone. Prix Félix-Leclerc, coup de coeur de la prestigieuse Académie Charles-Cros, Jutra pour la musique du Ring, unanimité de la critique pour Rose sang, son deuxième album paru au début de 2008...

Départ canon, dites-vous?

Si le Québec foisonne d'auteurs-compositeurs-interprètes de sexe masculin, peu de femmes acquièrent la notoriété des meilleurs. Catherine Major est l'une des rares. Mercredi soir au Club Soda, la Montréalaise recevait l'accueil des plus notoires, et ce pour les bonnes raisons. De toute évidence, elle a acquis cette autorité qui lui permettra de faire beaucoup de millage sur la piste qu'elle a choisie.

 

Je trouvais plutôt bcbg Par-dessus bord, son premier album, accomplissement d'une jeune femme issue des meilleures écoles, douée et brillante, mais beaucoup trop collée sur l'esthétique des générations ayant précédé la sienne. Trop Monique Leyrac, trop Claude Léveillée, trop Barbara, trop musique de piano classique, trop boîte à chansons, trop Comédie canadienne, trop ancienne pour une artiste devenue adulte au tournant du millénaire.

Force est de constater au terme de cette performance qu'elle a saisi le problème. Les arrière-goûts de Révolution tranquille et d'orthodoxie francophile sont déjà moins prononcés. Beaucoup moins, dois-je renchérir. Réalisé par le très allumé Alex McMahon (venu l'accompagner pour une seule chanson, mercredi), Rose Sang s'est avéré un très bon disque, chargé de rimes généralement inspirées et toujours bien écrites, variations sur l'amour sec, l'amour torride ou l'amour noir, migrations vers le Sahara et autres grands espaces, le tout couché sur des musiques très pianistiques.

Chez Catherine Major, l'actualité de Rose sang et l'interprétation revivifiée de l'entier répertoire (une vingtaine de chansons, très peu de son premier album, une paire d'inédites sans compter une version de Notre sentier, chanson de Félix écrite pour la grand-mère de Catherine selon ses dires) marquent ainsi une transition importante entre la synthèse d'influences et la véritable originalité, entre classicisme chansonnier et création surgie du présent.

Mercredi soir, on a donc eu droit à une version améliorée de Rose sang et de son répertoire. C'est dire son progrès rapide. Très à l'aise sur scène, sensuelle, consciente de son corps et des effets directs qu'il génère (la jambe droite se faisait aller lorsque sa propriétaire atteignait quelques paroxysmes pianistiques), de parfaite connivence avec des accompagnateurs qui donnent du muscle à son répertoire (le bassiste Mathieu Désy, le claviériste François Richard, le batteur Martin Lavallée, sans compter son propre piano), elle peut prétendre jouer dans la cour des grands.

Au sortir du Club Soda, je me disais tout de même que la transition n'était pas encore complétée, même si la performance de la chanteuse a été à la hauteur de mes attentes - et je ne parle pas du triomphe que lui a fait son public. Non, la colle n'est pas encore sèche, le classicisme chansonnier l'emporte encore trop sur l'effort d'actualisation, sur ces ponctions de musique latine, de jazz et de nouvelle pop. On ne s'étonnera pas, d'ailleurs, que l'auditoire de Catherine Major soit majoritairement constitué de personnes plus âgées qu'elle.

Certes, on sent chez elle l'urgence de s'ouvrir à l'ici et maintenant, d'y varier les propositions mais... Quels que soient la notoriété et le succès obtenus cette année, la très douée Catherine Major ne devra rien tenir pour acquis.