«J'avais cru rencontrer l'homme de mes rêves... He's gonna turn me down and say «Can't we be friends»...» Sur cette histoire d'un kick qui s'est dégonflé, Susie Arioli vient d'apparaître sur le flanc gauche de la scène, sous un long cône de lumière. Son swing délicat s'installe parmi nous en ce mercredi soir.

Un swing relax, souple, prêt à nous réconforter les circuits.

La chanteuse a tôt fait de prendre sa place au centre de la scène où l'attendent sa caisse claire et ses balais. You came to me out of nowhere... le swing prend un chouia de tonus sans perdre un soupçon de sa finesse. C'est ensuite Blue Sky, le rythme devient un tantinet plus véloce, Jordan Officer (guitare) et Bill Gossage (contrebasse) enchaînent d'élégants solos.

 

Dans cette «beautiful salle», pour reprendre l'expression de l'ineffable Susie, on sirote un deuxième titre d'Irving Berlin d'affilée: How Deep Is The Ocean, qui comporte un joli bridge ancré dans le blues. On tangue alors sur I Can't Get Started, on est sans contredit dans la profonde connaissance musicale de cette Amérique mythique, qui a jadis vogué paisiblement dans la candeur et l'abondance. Et Susie Arioli chante It's You Or No One.

Elle dit grazie à ses potes italos, elle blague un peu sur les contorsions de l'amour, It Could Happen To You... À elle aussi, comme le conclut la chanson.

Basswalk est l'occasion de contempler le jeu encore plus connaisseur de Jordan Officer, qui n'utilise que sa guitare acoustique à cordes de métal. Une remarque: ce musicien a enfin dépassé le stade de l'archiviste pour faire place à l'authentique styliste. On peut en dire autant de tout le Susie Arioli Band, dont le projet essentiel est de s'approprier blues, swing, country et autres joyaux du Great American Songbook.

À la suite de ces chansons tirées du récent album Night Lights, nous sommes prêts pour quelques extraits de Learn to Smile, le précédent. La transition nous est annoncée par la chanteuse, et ce dans un franglais pittoresque, pour ne pas dire gossé à la hache. N'est-ce pas que ce ton mal dégrossi contraste avec l'authentique quête de beauté qu'est celle de Susie Arioli? À défaut d'être surpris ou bouleversé par ce trio, en fait, on en retient l'effet bénéfique et le raffinement. Cela vaut pour la voix, la contrebasse, la guitare et les éclairages.

Sur scène, il sera aussi question de Husbands And Wives, un classique de Roger Miller. La grande qualité country nous emmitoufle, on apprécie d'autant plus les qualités harmoniques de By Myself, qui inspirent visiblement les musiciens qui enchaînent la superbe ballade By The Time I Get To Phoenix de Jimmy Webb, popularisée par Glenn Campbell (mister Golden suit) et apprise par Susie dans l'autobus scolaire, selon ses dires. Avant l'entracte, un peu de muscle avec The Big Hurt, un vieux tube serti d'espagnolades, à tel point qu'on ne sait s'il s'agit d'une chanson de corrida ou de rodéo.

Après la pause, le trio revient sur scène avec The Very Thought of You, chantée collée avec ses deux sidemen. Cole Porter succède à Ray Noble: What Is This Thing Called Love. Nous sommes bel et bien de retour au milieu du siècle précédent, avec Pennies From Heaven de Burke/Johnston, The Way You Look Tonight de Fred Astaire, et Lumière de nuit, une ballade jazzy de Gerry Mulligan assortie d'un texte français.

On restera en France au rappel, Susie entonnera Nuages, un air magnifique de Django Reinhardt, le tout coiffé d'un boogie et d'un blues bien sentis. Après une soirée des plus agréables au beautiful Théâtre Outremont, Miss Arioli et ses musiciens font durer le plaisir ce soir.