Un film de Bollywood, on le sait, c'est un long métrage bigarré, irréaliste, où la comédie musicale côtoie le burlesque et les scènes épiques se mêlent au mélodrame parfois sirupeux. Il y a de tout cela dans Rêvez, montagnes!, la dernière production du Nouveau Théâtre Expérimental. Tout cela, mais pas tout à fait cela.

L'histoire est, en soi, digne des productions bollywoodiennes: un cinéaste indien réputé doit, pour tourner son dernier film, trouver une montagne similaire à celle qui l'a vue naître au Pakistan.

 

En compagnie d'une superstar de Bollywood, il la trouvera au Québec, grâce à un avocat en burn-out (Pierre Limoges), une productrice de cinéma (Julie McClemens) hantée par la mort de sa mère et une coiffeuse (Kathleen Fortin) confrontée à une coiffeuse rivale d'origine... indienne.

À partir de ces prémices rocambolesques, le texte d'Emmanuelle Jimenez veut explorer la notion du sacré, du territoire, de la foi, de l'absence de foi, etc. Il y a tant de l'hindouisme que du Baudelaire dans cette pièce où la nature est un temple...

D'emblée, la gang du NTE a décidé de jouer la carte «cinéma» jusqu'au bout, et il est donc possible d'acheter du pop corn et de la «liqueur» pour consommation pendant la pièce. Elle fait également précéder la représentation de fausses annonces parodiant celles des multiplex: quiz sur les vedettes, pubs (dont une pour la fameuse «poutine aux trois gras: frites, beurre, bacon» !), bandes-annonces, etc., projetés sur grand écran.

C'est après cela que ça se corse un peu. On s'entend, l'histoire est improbable. Mais on s'étonne que la production respecte, elle, autant les conventions. Toutes ces sorties et entrées, toutes ces miniscènes suivies de fondus au noir, pourquoi?

Qu'on projette des images de décor sur grand écran, en arrière-plan, d'accord, mais pourquoi ne pas s'en contreficher, à un moment donné, quitte à être vraiment irréaliste? Le rythme de la pièce souffre de toutes ces interruptions et l'histoire prend une grosse demi-heure à prendre enfin son envol - il aurait fallu couper un peu plus au montage...

Je pense aussi que c'est la première fois que je vois le NTE se soumettre ainsi à la «tyrannie du décor», au détriment de la pièce: d'abord, les projections sur grand écran qui demandent aux comédiens de respecter des tas de «cues» pour être «raccord», ensuite, le décor final, vraiment beau, c'est vrai, mais utilisé à peine 10 minutes, sans qu'il soit pour autant indispensable.

Malgré ces contraintes, les comédiens s'en tirent généralement bien - Alexis Martin campe un cinéaste indien hilarant et Carl Poliquin brille en superstar de Bollywood - mais le personnage de Guylain, en avocat gai surmené, est au-delà du caricatural: qu'est-il bien supposé représenter, habillé de façon aussi ridicule, ce à quoi ses collègues ont le bonheur d'échapper?

C'est quand, enfin, les protagonistes se retrouvent sur diverses montagnes (mont Saint-Hilaire, montagne en Gaspésie, mont Royal) et qu'ils s'interrogent sur leurs convictions, leurs vies, leurs choix, quand les personnages québécois sont confrontés à leur vide spirituel et les personnages indiens, à l'injustice de leur religion, qu'il se passe vraiment quelque chose.

C'est d'ailleurs à ces occasions qu'il y a de petites chorégraphies bollywoodiennes charmantes et pertinentes - mais quand on a la chance d'avoir Kathleen Fortin et sa superbe voix sur scène, pourquoi ne la fait-on pas chanter?

Qu'on se comprenne bien: on passe un bon moment avec Rêvez, montagnes! Mais s'il y avait eu plus de folie, plus de délire - plus de théâtre!!! - on aurait pu assister à une pièce importante, qui pose en riant des questions à la fois banales et fondamentales sur la spiritualité: saint Hilaire, c'est le saint patron de quoi, exactement?

Rêvez, montagnes!, d'Emmanuelle Jimenez, mise en scène de Frédéric Dubois, jusqu'au 14 mars à Espace libre.