Dans un local exigu d'une tour à bureaux de la 30e rue, à Manhattan, Robert Galinsky dirige un exercice particulier. Il fixe un élève dans les yeux puis, tapant des mains, lui indique qu'il lui cède la «parole». L'étudiant fait de même avec son voisin, et ainsi de suite.

«L'important, dit Galinsky, c'est de créer un contact visuel. Ceux qui n'arrivent pas à établir de contact visuel font preuve de faiblesse. Et dans une émission de téléréalité, les faiblesses des uns font le bonheur des autres.»On se croirait dans un atelier de croissance personnelle. Ou dans un meeting des AA. Sauf que des caméras épient les moindres gestes des participants. Il s'agit plutôt d'un cours de la New York Reality TV School, la première école en son genre, fondée il y a trois mois par Robert Galinsky.

L'acteur et metteur en scène, qui offre des formations privées à des comédiens (le rappeur 50 Cent, entre autres), a eu l'idée de cette école de téléréalité après avoir été approché par un candidat d'un concours de dressage de chiens de la chaîne Animal Planet.

«J'ai fait des ajustements à mon cours habituel afin de l'adapter à la téléréalité et ç'a marché, dit Galinsky. Mon client a fini troisième. Il m'a confirmé qu'il s'était servi de mes conseils. Je me suis dit que si je pouvais enseigner mes techniques à des acteurs sans le sou, je pouvais aussi les enseigner à des concurrents de téléréalité qui ont les moyens de payer!»

C'est ainsi que devant une salle comble d'une trentaine d'élèves, Robert Galinsky a offert son premier atelier, le 21 juin, épaulé par d'anciens concurrents d'émissions telles Survivor et Top Chef et par des directeurs de casting de téléréalité. Au menu: techniques d'entrevue, d'improvisation et de mise en valeur de sa personnalité. Objectif: être à l'aise devant la caméra. Coût : 139 $ pour un cours intensif de trois heures, ou 299 $ pour une session de cinq semaines. But ultime : attirer l'attention d'un producteur, être sélectionné parmi les candidats... et devenir une vedette de téléréalité.

L'ingénu et le directeur de casting

Il y a quelques semaines, Ian Kroft, la jeune vingtaine, s'est rendu à 6h du matin au Giants Stadium, au New Jersey, afin de participer aux auditions d'American Idol. Un candidat enthousiaste parmi 16 000 candidats enthousiastes. Il a chanté pendant 20 secondes, a été retenu pour chanter une deuxième fois et attendait toujours, au moment de notre rencontre, les résultats de son audition.

«J'ai tenté ma chance l'an dernier, mais ça n'a pas fonctionné, alors j'ai voulu me distinguer, explique le jeune homme d'un ton mielleux. C'est pour ça que j'ai joint Robert. Il m'a fait comprendre que je ne participais pas à un concours de chant, mais à un concours de personnalité.»

L'élève de la Reality TV School sort fièrement une photo de sa poche arrière. Au centre du cliché, il y a Ryan Seacrest, l'animateur d'American Idol, entouré d'une mer de jeunes concurrents. Pratiquement hors du cadre, dans le coin inférieur droit, on remarque à peine le haut du visage de Ian Kroft. «Sans l'aide de Robert Galinsky, je n'aurais jamais pu rencontrer Ryan !» dit-il, la voix excitée, le regard ingénu.

«Pourquoi crois-tu qu'on devrait te choisir pour American Idol?» lui demande à l'occasion d'un exercice de «speed casting» Robert Russell, un autre professeur de l'école.

«Je veux donner une partie de moi-même au monde, montrer mon coeur à la planète.

- Je trouve ta réponse un peu courte, répond Russell, un directeur de casting qui en a vu d'autres (il a entre autres travaillé sur The Bachelor et Big Brother, le Loft Story américain). Tu me donnes une piste, mais peu de matière. Je dois me sentir interpellé par ta réponse. Ce n'est pas le cas. »

«Personne ne sait comment répondre à cette question, me confie plus tard Russell, qui est directeur de casting depuis 20 ans. Pendant les dernières auditions de Big Brother, les candidats m'ont dit qu'ils étaient beaux, qu'ils avaient de beaux cheveux et qu'ils feraient monter les cotes d'écoute. Ils n'ont pas répondu à ma question. Généralement, ils ne savent pas pourquoi ils sont là, ce qu'ils entendent faire et ce qui les attend.»

Apprendre aux aspirants candidats de téléréalité à être «vrais» devant la caméra, c'est le défi - forcément paradoxal - que s'est lancé Robert Galinsky en ouvrant son école. «Les concurrents les plus authentiques sont ceux qui survivent le plus longtemps dans les émissions de téléréalité, observe-t-il. Je veux que les gens soient conscients des scénarios qu'ils portent en eux, grâce à leur passé, leur vécu, leurs défauts et leurs qualités. Afin de se rendre attrayants pour les directeurs de casting. Je ne le dis pas souvent, mais c'est aussi du coaching de vie.»

Le lucide et la fashionista

Elisa DeCarlo mène une double vie. Elle vend des vêtements vintage pour personnes de taille forte. Et elle tient un blogue sous le nom de The Mad Fashionista, un alter ego flamboyant qui aime se moquer des gens maigres. Elle aimerait faire de sa vie une téléréalité. C'est pour cette raison qu'elle fréquente l'école de Robert Galinsky. «J'ai beaucoup de plaisir à participer à ces cours», dit-elle.

Leo Fernekes aimerait lui aussi devenir le personnage principal d'une «docuréalité» sur son quotidien. Ce jeune entrepreneur en nouvelles technologies souhaite ainsi mieux faire connaître son entreprise. «Je me suis inscrit aux cours de Robert parce qu'il connaît les mécanismes de cette industrie et ce qui fait de la bonne téléréalité, dit-il. Robert peut identifier ce qui, dans mon parcours, intéressera un producteur ou un diffuseur.»

Fernekes se dit passionné de téléréalité. Mais il pose un regard lucide sur ce nouveau genre télévisuel. «Je trouve que la téléréalité propose un regard fascinant sur le déclin de la civilisation occidentale.»

Pourquoi alors vouloir y participer? «Si on se précipite dans la téléréalité à l'aveugle, sans être pleinement conscient de ce qui s'y passe, on se fait bouffer tout rond, dit-il. Mais si on s'y prend intelligemment, en analysant froidement la situation, en sachant ce qui est attendu de soi, on peut tourner la situation à son avantage. Il n'y a rien de réel dans la téléréalité. Je crois que les médias sont facilement manipulables. Et que ce peut être très amusant. Aussi, comme toute personne qui veut faire de la téléréalité, je suis profondément narcissique. La téléréalité est une attraction perverse.»

«Évidemment que la téléréalité est une réalité manipulée, confirme Robert Galinsky. C'est une réalité dirigée, montée, scénarisée. Les monteurs de la téléréalité sont d'ailleurs les meilleurs scénaristes de la télé d'aujourd'hui. S'il y avait davantage de bons scénaristes à la télévision conventionnelle, la téléréalité n'aurait peut-être pas autant de succès. Mais la téléréalité est plus audacieuse qu'un épisode formaté de Law & Order. Et beaucoup plus drôle qu'une sitcom qui nous dit quand rire avec ses rires en canne.»

Pour sa série de cours qui débute aujourd'hui, et qui affiche complet, Robert Galinsky dit avoir reçu des inscriptions de partout aux États-Unis, et même d'Australie. Il dit aussi négocier depuis plusieurs semaines avec trois producteurs de téléréalité. Ils veulent tous produire une émission... sur son école de téléréalité.