On pouvait difficilement le soupçonner, vu le nombre de téléspectateurs qui utilisent la Tivo ou attendent la sortie de leurs séries préférées en DVD. Mais les psychologues sont formels: les pauses publicitaires augmentent le plaisir de regarder la télé.

«Pour un psychologue, ce n'est pas une notion révolutionnaire», explique Leif Nelson, un psychologue à l'Université de Californie à San Diego qui vient de publier une étude sur le sujet dans le Journal of Consumer Research. «On sait que manger une tablette de chocolat morceau par morceau est plus agréable que de l'engloutir tout d'un coup, et que les fumeurs espacent leurs cigarettes pas seulement parce qu'ils se rendraient malades en les fumant l'une après l'autre. Mais c'est la première fois qu'on en fait la preuve avec la télévision.»

Pour étudier la question, M. Nelson et deux collègues de l'Université de New York ont soumis 87 étudiants à six expériences différentes. Dans chaque cas, la moitié des cobayes écoutait une vidéo entrecoupée de pauses publicitaires, et l'autre, la même vidéo sans pauses.

Les résultats sont clairs. «Les pauses augmentent le plaisir de l'écoute, dit M. Nelson. On s'habitue aux expériences agréables, et plus on s'habitue, moins il y a de plaisir. Une interruption permet de restaurer le niveau original de plaisir. C'est une partie de l'attrait de la série 24, qui est interrompue fréquemment même quand on la regarde en DVD.»

Les tests allaient d'un épisode de 25 minutes de la sitcom Taxi, entrecoupé de trois pauses publicitaires, à un vidéoclip de six minutes d'une vedette de Bollywood entrecoupée de deux pauses. «Il fallait vraiment que les pauses soient très fréquentes, par exemple qu'elles surviennent chaque minute, pour qu'elles gâchent le plaisir de l'écoute.»

Les étudiants évaluaient le plaisir qu'ils tiraient d'une vidéo de deux manières, avec une échelle de 11 points, et en comparaison avec une vidéo beaucoup moins intéressante - dans le cas de Taxi, la comparaison était faite avec un épisode de Happy Days. Détail intéressant, sans pauses publicitaires, les cobayes préféraient Happy Days, et avec des pauses, ils préféraient Taxi.

Y a-t-il des types d'émissions auxquels le concept ne s'applique pas? Après tout, si on se fait interrompre souvent pendant qu'on lit un livre, c'est très certainement agaçant. «Si un produit culturel est agréable parce qu'il demande beaucoup d'implication affective, comme dans le cas des livres, les interruptions seront négatives. Mais il n'y a pas beaucoup d'émissions de ce genre à la télévision.»

Le psychologue californien va maintenant faire des expériences avec de vraies émissions, en collaboration avec le site de distribution de vidéos Hulu. «Nous avons eu beaucoup d'appels de dirigeants de réseaux de télévision qui veulent avoir des conseils. Mais avec Hulu, on pourra vraiment varier la durée et la fréquence des pauses. Nous pourrons presque arriver à un algorithme pour chaque émission.»

Comment a-t-il eu l'idée de cette expérience? «C'est très personnel, dit M. Nelson. Voilà quelques années, j'ai dû me séparer de ma femme pendant six semaines pour faire un stage en Californie alors qu'elle restait à notre domicile de New York. Elle est venue me retrouver pour une semaine au milieu de mon séjour. Par la suite, je me suis encore plus ennuyé d'elle. J'en ai conclu que la pause dans notre séparation, qui était une expérience négative, avait ravivé ma tristesse. Pour la limiter, il aurait fallu qu'elle vienne au début ou à la fin. C'est exactement le contraire qui se passe avec les pauses publicitaires.»