Au Québec, la webtélé semble en pleine éclosion, mais donnera-t-elle des fruits? Car si les webséries et les magazines se multiplient sur le web, ils ne font pas encore vivre leurs créateurs.

Depuis l'avènement des Têtes à claques, les productions de webtélé foisonnent au Québec. Même si l'argent n'est pas au rendez-vous, en un an, le nombre de séries créées au Québec a doublé. «Je peux certainement avancer qu'au moins une quinzaine de webséries sérieuses diverses ont vu le jour depuis l'été dernier. En ce moment, on doit en dénombrer plus d'une trentaine et même plus», évalue Patrick Dion, qui conseille les internautes sur le site Webtv Hebdo.

 

«On est vraiment des entrepreneurs avec ce que ça comporte de risques», constate de son côté Geneviève Lefebvre, coproductrice de Chez Jules, des capsules web mettant en vedette Anne Dorval et Maude Guérin, notamment. «Ça nous coûte de l'argent quand on tourne, on investit. En fait, je gagnais 100 fois mieux ma vie quand je faisais René Lévesque!» ajoute celle qui a scénarisé la télésérie portant sur la vie de l'ex-premier ministre du Québec.

À l'instar de plusieurs producteurs web, qui en sont pour la plupart à leurs premières armes, Mme Lefebvre est d'avis qu'il n'existe toujours pas de modèle économique viable pour cette industrie en devenir. «Il y a autant de modèles d'affaires qu'il y a de projets, croit-elle. C'est vraiment du sur mesure.»

Même son de cloche du côté de Catherine Beauchamp, qui anime et produit Le tapis rose de Catherine. Accompagnée de son caméraman, elle couvre notamment les tapis rouges et interviewe des artistes les soirs de première. Passionnée par ce projet, Mme Beauchamp admet toutefois qu'elle n'empoche pas un sou avec cette production. Et sa directrice artistique ainsi que son maquilleur-coiffeur travaillent bénévolement.

Elle parvient à payer son caméraman-monteur grâce à l'argent versé par Sympatico, qui met ses capsules en ligne sur son site depuis un an. «Je survis. Mais toutes les fois que je veux faire quelque chose qui déroge un peu, comme bâtir une nouvelle section sur mon site, je dois investir de l'argent.»

Plus les artisans du web tentent d'offrir une qualité de produit se rapprochant de ce qui se fait au petit écran, plus les coûts de production augmentent. Faire appel aux services de comédiens d'expérience, comme Marie-Hélène Thibault dans Les chroniques d'une mère indigne, coûte plus cher que la mise en ligne de capsules mettant en vedette «deux vibrateurs devant un écran blanc», illustre Geneviève Lefebvre. Celle-ci fait notamment référence à La bande raide, un groupe anonyme qui utilise des vibrateurs en guise de marionnettes. Leurs vidéos sont diffusées sur le site YouTube.

Le choix de la qualité des images et la nécessité d'avoir recours aux services d'un maquilleur-coiffeur font également augmenter les coûts. Dans le cas de Chez Jules, une journée de tournage, qui permet de réaliser trois ou quatre capsules, coûte environ 12 000$.

Miser sur le contenu interactif

Malgré tout, il y a un certain engouement pour la webtélé au Québec, assez pour créer le fameux site Webtv Hebdo, où chronique Patrick Dion, également chef-recherchiste à l'émission Vlog. « Mais on est loin de la commotion américaine, note-t-il. Ils en sortent trois ou quatre par semaine.»

À ce jour, le seul réel succès commercial de notre webtélé (même si à l'époque le terme n'était pas encore forgé) demeure les fameuses Têtes à claques de Michel Beaudet, précurseur dans le domaine. «Il est le seul en tout cas qui est capable d'en vivre», assure Patrick Dion.

D'autres producteurs web jurent pourtant que ce n'est pas si sorcier. C'est le cas de Jean-François Lizotte, alias Jeff Lee, coproducteur de Bombe.TV, un site web s'adressant particulièrement aux gens de 18 à 30 ans et proposant des reportages sur l'actualité ou sur des phénomènes insolites.

Le jeune homme de 23 ans souligne que six personnes travaillent sur ce projet et que tous reçoivent un salaire, y compris lui-même. «Oui, ça peut rapporter, la webtélé, affirme-t-il. Il faut seulement avoir le bon modèle. Les gens s'acharnent à faire une espèce de produit découlé de la télé sur le web. Ils font des productions qui coûtent super cher avec très peu de contenu interactif.»

Pour rentabiliser leur production, les instigateurs de Bombes.TV ont réussi à faire commanditer leurs capsules par Vidéotron, Molson Dry et des chaînes de magasins. Autre stratégie: assurer une présence sur les blogues. «Si on a des capsules d'humour, on les envoie à des blogues d'humour et ainsi de suite», explique Jean-François Lizotte.

Multiplier les plateformes de diffusion est une autre façon de financer la webproduction, estime Louis-Philippe Rochon. Producteur télé chez Novem, il planche actuellement sur un projet destiné à l'internet et envisage que son produit soit ensuite diffusé à la télé.

«Ça t'aide à boucler ton budget un peu, mais ce n'est pas la manne», précise-t-il.

Réservé aux fous-malades-passionnés

Et les subventions? «Faire une demande de financement, c'est à peu près un mois d'ouvrage à temps plein, ajoute Geneviève Lefebvre. Beaucoup de producteurs web en sont à leurs premières armes et décident finalement de s'organiser seuls.»

S'il n'y a pas de subvention directe à ce type de création, il n'y aura pas d'industrie florissante, estime Michel Lessard, spécialiste des stratégies web et professeur à l'Institut national de l'image et du son (INIS). Peu importe l'enthousiasme d'une petite armée d'étudiants en cinéma, en théâtre ou en multimédia qui y vont de leur poche et de leur temps pour se faire connaître.

Malgré tous les risques et les difficultés, ceux qui font de la webtélé restent convaincus que dans quelques années, le petit écran et l'ordinateur ne feront qu'un.

«Les gens que je connais qui font de la webtélé, ce sont tous des fous-malades-passionnés, conclut Geneviève Lefebvre. Ils n'attendent ni après un diffuseur ni après les subventions; ils le font. On se couche tous trop tard et on est tous trop cernés...»

Avec la collaboration de Chantal Guy

***

 

LA WEBTÉLÉ, QUELQUES CHIFFRES

LE TAPIS ROSE DE CATHERINE

5000 visiteurs uniques par mois.

BOMBE.TV

120 000 visiteurs uniques par mois.

CHEZ JULES

1,4 million de pages vues depuis la création du site le 6 juin 2008.

MÈRE INDIGNE

66 300 branchements entre le 9 et le 31 mars.