À 10 h 30, c'est l'heure de Miss Spider. Les samedis et dimanches, à 11 h 30, il ne faut pas rater Rocket Power. Et du lundi au vendredi, à 11 h, c'est Dr Dog. Il ne s'agit pas ici de la grille horaire de CTV, mais de Télé-Québec. Trop d'anglais à Télé-Québec? C'est souvent la faute aux Français, se défend la télévision publique.

Lucie Léger, directrice de la programmation jeunesse, relève que les titres anglais ne sont donnés qu'à quatre émissions (avec Mad Men) sur une grille-horaire de 51.

Il reste qu'il y a quand même concentration dans les émissions pour enfants, qui reviennent plusieurs jours par semaine à l'écran.

Mme Léger s'en dit désolée, mais explique ne pouvoir faire autrement.

La production d'émissions pour enfants est si petite au Québec que Télé-Québec n'a d'autre choix que d'acheter beaucoup de ses émissions à l'étranger.

Par exemple, c'est le cas de Miss Spider, produite aux États-Unis. À Télé-Québec, Miss Spider n'est jamais devenue Mademoiselle Araignée. Contre toute attente, ce n'est certes pas plus facile quand on fait affaire avec les Français. «Les Français produisent d'abord leurs émissions en anglais, puis ils les doublent en français sans se donner la peine d'en traduire le titre», indique Mme Léger.

Ne pourrait-on pas y aller d'une traduction maison? Après tout, c'est bien ce que font les distributeurs de films d'ici. Chaque fois, ils se réunissent en petit comité et se creusent les méninges pour trouver un titre français, avec un succès toujours relatif. (Vous vous souvenez du Pouilleux millionnaire?)

Mme Léger explique pour sa part qu'il est souvent difficile de s'interposer, surtout lorsque l'émission a franchi ses premières étapes de création.

De façon générale, dit-elle, «quand on insiste auprès des Français pour traduire un titre, on passe pour des maniaques fatigants, dit-elle. Ils ne comprennent pas pourquoi cela nous importe.»

Et il n'y a pas que les titres des émissions qui posent problème. Encore faut-il se battre pour que les Français consentent à ce que la chanson d'introduction (souvent en anglais) soit retirée ou traduite. Il arrive aussi parfois que le générique soit en anglais, du début à la fin.

Pour In the Night Garden, émission récemment acquise par Télé-Québec, ça a marché. Ce sera en français, du début à la fin. L'émission s'appellera Dans le jardin de rêves. Ironiquement, cette émission est produite... en Angleterre.

«L'ennui, dit à son tour Odette Bourdon, chargée des acquisitions des émissions jeunesse, c'est que les émissions sont souvent des marques déposées auxquelles sont associés de multiples produits dérivés.»

L'attrait de l'anglais

Au-delà de ces considérations marketing, dit-elle cependant, il existe à la base une volonté manifeste des Français de s'angliciser. «En France, plein d'entreprises de notre milieu ont changé de nom pour prendre des noms anglais. Dargaud Marina est devenue Mediatoon et France Animation est devenue Moonscoop.»

Quand elle se rend dans les grandes foires de la télévision, où chacun essaie de vendre son produit, Mme Bourdon dit être surprise, chaque fois, «de voir des Français distribuer des cartes de visite entièrement en anglais».

Et c'est sans compter, ajoute-t-elle, sur le fait que 80 % des courriels qu'elle reçoit des Français sont écrits en anglais. «Pour eux, l'anglais, c'est la langue des affaires.»

Ces observations rejoignent l'ire de Nicolas Sarkozy qui, en mars, s'en est pris «au snobisme» des diplomates français qui étaient si nombreux à s'exprimer en anglais à la première occasion.

«Ils sont tellement heureux de parler anglais, disait-il. Si eux-mêmes ne parlent pas français, pourquoi voulez-vous que les autres le fassent?»

Selon Sarkozy, tout cela découle d'une volonté de «faire intelligent ou moderne».

Les petites Miss Spider de ce monde sont bien peu de choses face à tout cela.