Même si pour l'instant il ne s'agit que d'un tour de piste, Les Bougon, version française, viennent de faire une entrée par la grande porte à la télé française. Les deux épisodes diffusés hier soir bout à bout par la chaîne privée M6 ont été annoncés avec les plus grands éloges par les médias français à commencer par Le Monde, qui consacre la une de son supplément télé et deux pages intérieures à la série québécoise culte et trash. Les deux épisodes scénarisés et réalisés par Sam Karman viennent d'ailleurs d'être primés au festival de la fiction télé de La Rochelle à la mi-septembre.

Comme un bonheur n'arrive jamais seul, le lancement des deux épisodes a été marqué par un coup de pub inattendu: une association représentant une soixantaine de «vraies» familles Bougon a présenté une injonction pour faire interdire la diffusion d'hier soir et forcer la production à changer le nom de cette horrible famille «dont le nom au Canada est d'ailleurs devenu un nom commun pour désigner les personnes malhonnêtes et fraudeuses». Le suspense a duré jusqu'en toute fin d'après-midi, les «Bougon grognons», comme l'ont écrit certains journaux, ayant fait appel d'un premier jugement qui rejetait leur requête.

 

Servis par d'excellents comédiens de théâtre peu connus du grand public, les deux épisodes test ont été diffusés à l'heure de grande audience. De 20 h 45 à 22 h 45 avec seulement deux coupures publicitaires. Bien que la parenté avec Affreux sales et méchants d'Ettore Scola saute aux yeux, encore plus qu'avec les Groseille de La vie est un long fleuve tranquille, on se régale tout le long de cette adaptation française, qui installe la tribu des Bougon dans le pavillon de banlieue lugubre d'une ville moyenne non identifiée, dont on ne voit que les rues vides et tristes et les centres commerciaux déprimants. Et les bureaux d'aide sociale.

Dans le Monde, le réalisateur Sam Karman explique qu'il est «tombé de sa chaise» quand il a vu la série originale. Et qu'il a obtenu de M6 une «liberté totale» pour faire son adaptation, sans craindre de coller au côté caricatural et «politiquement incorrect» de la version québécoise. Karman, un copain de la bande Jaoui-Bacri, avait déjà réussi, avec La petite semaine, un très joli film qui mettait en scène des paumés et petits apprentis gangsters de banlieue.

En tout cas, on considère que ces deux épisodes constituent une «audace» vis-à-vis de téléspectateurs français habitués à des téléfilms très conventionnels, soit policiers, soit historiques.

Les séries françaises traitant de la vie actuelle sont pratiquement inexistantes. Et chacun se demandait si la crudité et les mauvaises manières de la famille Bougon n'allaient pas choquer le public. À M6, on attendait donc avec impatience les chiffres d'audience pour décider si oui ou non on tournerait les huit épisodes suivants, déjà scénarisés. La chaîne privée, dont l'audience moyenne tourne autour de 12% de parts de marché - soit environ trois millions de téléspectateurs au prime time - s'est bâtie une petite image originale avec des séries «courtes», comme Caméra café, ou Kameloot, parodie des Chevaliers de la table ronde.

Y aura-t-il un phénomène de rejet face à cette «vulgarité» dénoncé par les vrais Bougon? Simple curiosité attisée par le battage médiatique? Ou alors un vrai engouement pour ce tableau inédit à la télé française, dont les personnages reprennent à leur manière le célèbre slogan de Sarkozy: «Travailler moins pour gagner plus!» En plein dans l'actualité.