Comme 17 millions d'Américains et sans doute des milliers de Canadiens, j'ai interrompu mon samedi soir pour syntoniser le réseau NBC et assister à un événement historique: le passage de Sarah Palin, elle-même en personne, à l'émission Saturday Night Live.

L'émission a débuté avec une autre imitation impayable de Tina Fey qui, nid d'abeilles et lunettes Kawasaki à l'appui, ressemble à la gouverneure d'Alaska comme deux gouttes de pluie... acide.Sauf que ce coup-ci, Tina Fey donnait une conférence de presse alors que, pour l'instant, s'il y a une activité médiatique que Miss Sarah Alaska a fuie comme la peste, c'est bien les conférences de presse.

Toujours est-il que Sarah Palin, rebaptisée la «Barbie des caribous», a fini par apparaître à l'image, encadrée pour l'occasion, du créateur de SNL, Lorne Michaels et des acteurs Mark Wahlberg et Alec Baldwin - à qui elle n'a pas manqué de dire qu'elle préférait son frère après que celui-ci l'eut confondue avec Tina Fey.

Passé les plaisanteries d'usage et un certain malaise entre ces scorpions associés, Sarah s'est dirigée vers le podium occupé par son clone. Tina s'est tassée sans dire un mot ni saluer son modèle, laissant à Sarah Palin toute la latitude pour lancer: «Live from New York, it's Saturday Night

Pour une candidate à la vice-présidence en pleine chute libre dans les sondages, cette invitation à présenter une émission culte comme SNL était un cadeau du ciel. Et comme si le cadeau n'était déjà pas assez gros, Sarah Palin est revenue pendant le faux bulletin d'information du Weekend Update. Elle a expliqué avec l'aplomb d'une vraie pro de la comédie qu'elle ne chanterait pas le rap que l'équipe lui avait concocté, car bien qu'elle en soit tout à fait capable, elle ne pouvait pas se permettre de franchir cette limite.

La comédienne Amy Poehler, enceinte jusqu'aux oreilles, a pris le relais, se lançant dans un rap «palinien» désopilant pendant que la «Barbie des caribous» suivait le rythme avec entrain et le marquait de gestes adroits, comme si elle avait dansé sur du rap toute sa vie. C'est là que j'ai décroché.

Car rien qu'avec ce sketch-là et la maîtrise comique qu'elle a déployée, Sarah Palin venait de remonter de mille points dans les sondages et de convaincre l'auditoire qu'elle pouvait être aussi cool et branchée que n'importe quel urbain gauchiste pro-Obama. Mieux encore: sur l'échiquier symbolique, elle venait de se hisser au rang très prisé des politiciens décoincés avec autant d'efficacité que Bill Clinton et son saxophone chez Arsenio Hall.

Après cela, comment s'étonner que Palin ait accepté d'embarquer dans une aventure où, en fin de compte, elle n'avait pas grand-chose à perdre et tout à gagner.

Et si je la comprends d'être allée à SNL, je comprends moins pourquoi les producteurs de l'émission l'ont invitée. Pourquoi ils lui ont permis, à deux semaines du scrutin final, de marquer des points pour McCain et surtout de freiner le mouvement de doute et de dérision qui plombait sa candidature.

D'ailleurs, au lendemain de son passage à SNL suffisait de consulter les blogues pour en mesurer l'effet. La plupart d'entre eux indiquaient que la performance de Palin avait déplacé l'attention publique, focalisée jusqu'à maintenant sur ses compétences douteuses et ses connaissances limitées. Bref, grâce à SNL, le public a oublié que Palin était le cancre de la classe en politique étrangère pour découvrir subitement son sens du timing, son esprit comique et son habilité à livrer avec aplomb un texte sur téléprompteur.

Si cette réhabilitation publique était le but visé d'une émission que l'on a accusée d'être pro-Obama, c'est mission accomplie. Quant à Tina Fey, on ne pourra pas l'accuser d'avoir été complaisante ou hypocrite avec celle qu'elle imite à la perfection.

Dès que cette dernière est entrée sur son terrain de jeu, Tina Fey s'est poussée sans la saluer et si jamais il y a eu un échange de regards entre les deux, il a dû être glacial, voire polaire.

Il n'en demeure pas moins que si Tina Fey avait été contre le passage de la «Barbie des caribous» à SNL, elle aurait pu la dénoncer ou se faire porter pâle. Elle a fait plutôt le contraire. Son imitation de Palin sous l'oeil amusé de cette dernière était non seulement une forme d'approbation, mais a permis à la candidate républicaine de passer pour une bonne joueuse et une femme sympathique qui sait rire d'elle-même. Sarah Palin n'a peut-être pas chanté de rap à SNL mais elle a si bien joué la comédie que ce fut sans contredit elle, la championne de la soirée.