Cinq pieds huit, yeux pers, peau de pêche, 29 ans et toutes ses dents, j'ai peine à le croire, mais c'est vrai. J'ai devant moi Megan Clavet, la nouvelle flamme de Don Draper, le héros de la série Mad Men et bien franchement, je ne la reconnais pas. Pas de chignon à l'horizon, pas de talons aiguilles ni de robe fourreau non plus. Il faut dire que nous ne sommes pas en 1964 sur Madison Avenue où se déroule cette série culte, mais en 2010 sur Monkland, à Notre-Dame-de-Grâce, à quelques rues d'où l'actrice Jessica Paré, qui interprète Megan, a grandi et où elle essaie de revenir deux ou trois fois par année. Pour voir ses trois frères, son père Anthony Paré, prof à McGill, et sa mère Louise Mercier, interprète et traductrice.

Longtemps, j'ai confondu la vie de Jessica Paré avec celle de Tina Menzel, cette joueuse de hockey ontarienne devenue top model dans le film Stardom de Denys Arcand. Mais Tina, comme Megan, n'était qu'un personnage. Jessica, elle, est une ancienne élève de Villa Maria, qui a lâché le cégep Dawson pour aller tourner avec Denys Arcand, puis Lost and Delirious avec Léa Pool. C'est une grande fille, mince, souriante, chaleureuse, un brin timide et pourvue d'un bon sens de l'autodérision, capable de rire de bon coeur de ses dents légèrement écartées qu'elle refuse de faire arranger.

Installée depuis six ans à Los Angeles, séparée de son mari, l'auteur et producteur Joseph Smith, vivant dans une grande maison à Santa Monica avec deux colocs actrices, elle s'est présentée en avril dernier à une audition pour un rôle de prostituée dans Mad Men. On l'a fait revenir deux autres fois, en lui faisant lire des textes des saisons passées, avant de lui confier le rôle d'une réceptionniste à la nouvelle agence de Don Draper et ses amis.

Arrivée dès le deuxième épisode avec une seule réplique «Yes, Joan», elle a lentement monté les échelons avant de carrément devenir la secrétaire de Don. Les abonnés de Mad Men habitués à voir le beau tombeur interprété par John Hamm engager puis jeter ses secrétaires comme des kleenex ne l'ont pas remarquée, même quand elle a eu une aventure d'un soir avec lui. Mais à partir du neuvième épisode, les choses se sont corsées.

«C'est là qu'ils m'ont donné un nom de famille, raconte-t-elle dans un français cassé qu'elle ne pratique pas souvent. J'étais folle de joie. J'avais une légitimité. Et quand ils m'ont dit que mon personnage était une Montréalaise dont le père était prof, j'étais pas mal plus excitée par cette idée-là que par ma scène de baise avec Don Draper. Coucher avec Don, tout le monde peut le faire. Venir de Montréal, c'est autre chose.»

Au dernier épisode de la quatrième saison de Mad Men, les origines francophones de Megan ont été exploitées à fond alors qu'elle apprend une chanson française aux enfants de Don, puis qu'elle appelle sa mère à Montréal et lui parle brièvement en français. Les répliques en français ont été écrites non pas par Matthew Weiner, le scénariste en chef, mais par la Montréalaise Dahvi Waller, qui fait partie de l'équipe de scripteurs.

Rivale

Avant d'en arriver à cette grande finale, une scène avait scellé plus tôt le sort de Megan et en quelque sorte assuré son avenir. Pas à cause de sa beauté naturelle. À cause du soin tout maternel que Megan a prodigué à Sally, la petite fille de Don, quand cette dernière a trébuché et est tombée. À l'insu de tous sauf du scénariste, c'est précisément à ce moment-là que Megan est devenue la plus sérieuse rivale de Betty Draper, ex de Don et monument de froideur et d'indifférence maternelle.

Est-ce que Jessica Paré en a eu conscience, et est-elle d'accord avec l'idée avancée par certains que Mad Men est une sorte d'ode à la maternité? «Tout ce que je sais, c'est que j'aime beaucoup les enfants. Être avec eux, c'est naturel pour moi. J'ai une très grande famille et j'ai passé tous mes étés à jouer avec mes neveux et petits cousins dans notre maison de Morin Heights. J'imagine que Matthew et les autres ont senti cet aspect de ma personnalité et l'ont exploité. Je pense aussi que mon personnage, parce qu'elle vient d'une autre culture, est plus jeune et a des ambitions professionnelles. Elle a un côté plus moderne que la femme au foyer classique des années 60.»

Malgré la scène finale où Don surprend tout le monde, et lui-même, en demandant Megan en mariage, Jessica ne sait pas ce que l'avenir lui réserve. «Il l'a peut-être demandée en mariage, mais ils ne sont pas encore mariés. Et si vous avez suivi la série, vous savez qu'on peut s'attendre à TOUT de la part des auteurs. C'est pourquoi j'aime mieux ne pas trop spéculer sur la suite des choses afin de ne pas être déçue.»

Jessica retourne à Los Angeles lundi, se chercher du travail, comme elle le dit elle-même, et vivre d'amour et d'eau fraîche en attendant un appel de la providence et de... Don Draper.