Révélé au grand public grâce au Junior excessif des Bougon, Antoine Bertrand n'a cessé de collectionner les rôles extrêmes où il n'a jamais hésité à se mettre à nu, au sens littéral et figuré. En janvier, cet enfant de la télé arrive au Théâtre du Rideau Vert dans la reprise du Pillowman, une pièce troublante qui révèle l'ampleur de son talent.

Attablé devant un tajine odorant du café Byblos, tuque sur la tête, Antoine Bertrand prend sa première pause de la journée. Il est 15h. Le matin même, il était au lancement de presse de la série Les Boys 4 dans laquelle il incarne Ronnie, la nouvelle recrue de l'équipe, un couvreur cuisinier bipolaire, capable des plus doux épanchements comme des pires colères.

L'acteur a enfilé les entrevues les unes après les autres avec sa bonhomie habituelle, en multipliant les blagues. La veille, il avait terminé une série de représentations du Pillowman à la Bordée de Québec. Tout cela entre les enregistrements de l'émission à succès de l'automne Les enfants de la télé, où il s'est révélé être un fou du roi aussi hilarant qu'attachant.

C'est pourquoi, alors qu'Antoine Bertrand se raconte pour la vingtième fois de la journée, l'épuisement le guette. Pour le combattre, il m'offre son plus beau sourire, et je comprends assez rapidement ce qui fait le charme de ce jeune homme de 33 ans, 6 pieds 2 et 300 livres, qui a failli devenir dresseur de chiens plutôt que vedette de la scène et du petit écran.

Le charme d'Antoine Bertrand? Il tient essentiellement à sa décontraction lumineuse, à sa sensibilité et à la bonne humeur contagieuse qu'il dégage. Il semble si bien dans sa peau, si assumé dans ce qu'il est, qu'à moins d'être un misanthrope fini, il est très difficile de ne pas le trouver sympathique.

C'est à Granby en 1977 qu'Antoine Bertrand a vu le jour et qu'il a grandi, le fils cadet de Diane Houde et de Guy Bertrand, dresseur de chiens. Le futur acteur a fréquenté le collège privé des Frères du Sacré-Coeur de Granby avant d'aller en exploration théâtrale au cégep de Saint-Hyacinthe. Malgré sa forte taille, ou peut-être précisément à cause d'un gabarit hors norme qu'il faisait disparaître sous une tonne de verve, d'autodérision et d'humour, il n'avait pas de problème à se faire des amis. Pour les blondes, par contre, c'était un peu plus ardu.

En principe, son père s'attendait à ce qu'il travaille dans l'entreprise familiale. Mais quand fiston lui a annoncé qu'il s'en allait en exploration théâtrale, «juste pour voir», il n'a pas rencontré de résistance. «Même si mes parents ne venaient pas du milieu des arts, ils m'ont toujours encouragé à avoir d'autres intérêts que les leurs et à faire mes propres choix», raconte-t-il.

Après deux ans «d'explo», le futur acteur comprend qu'il veut définitivement se diriger vers l'interprétation. Mais avant de préparer ses auditions pour les écoles de théâtre, il prend le large avec des copains avec l'intention très ferme d'apprendre l'anglais. Direction: Anaheim, en Californie où, pendant un an, grâce aux contacts de la famille, il travaille dans un chenil de chiens saucisses. «J'habitais dans un motel qui était à moitié une piquerie et situé en face de Disneyworld. Disons que ça m'a fait voir les deux côtés du rêve américain. Puis, au bout d'un an, plutôt que de revenir directement au Québec, avec mes chums, on a décidé de faire la route des partys. On a fait le Mardi gras à La Nouvelle-Orléans, le springbreak à Daytona et la St. Patrick's Day à Boston. Après ça, on était mûrs pour rentrer à la maison et pour redevenir sérieux.»

Accepté en théâtre à Saint-Hyacinthe, Antoine Bertrand y passera quatre années. En raison de son physique, on lui confie des rôles de père et de roi qu'il n'aurait jamais obtenus s'il avait été un jeune premier svelte et délicat. Il ne s'en plaint pas. Au contraire. «Le plus dérangeant pour moi à cette époque, c'était de ne pas pogner avec les filles. En même temps, j'étais déjà très versé en cabotinage. Je savais déjà très bien comment désamorcer les blagues plates sur mon poids.»

Ascension fulgurante

Habituellement, pendant que les aspirants comédiens apprennent leur métier sur les bancs de l'école, ils n'ont pas le droit de jouer de manière professionnelle. Du moins pas pendant l'année scolaire. Reste l'été où la plupart d'entre eux se trouvent des emplois de serveur ou de moniteur. Antoine Bertrand, lui, pige le numéro gagnant dès son premier été en obtenant un rôle dans Le mari de la boulangère à Bromont. L'expérience est concluante autant pour lui que pour ceux qui l'engagent et qui le rappellent les étés suivants.

Puis, à peine son diplôme obtenu, Bertrand passe une audition pour Virginie. «À l'école, on avait des cours de jeu devant la télé. Je me trouvais toujours poche. J'étais convaincu que mon audition pour Virginie avait été nulle et j'ai été le plus surpris des gars quand on m'a dit que j'avais obtenu le rôle.»

Antoine Bertrand ignore encore à ce moment-là que sa jeune carrière est sur le point de connaître une ascension fulgurante. Après une première année dans Virginie, il a tellement séduit l'auteure et productrice Fabienne Larouche que celle-ci lui propose le rôle de Junior dans Les Bougon. Quatre ans sur Virginie, trois ans sur Les Bougon, des invitations à Caméra Café, la carrière d'Antoine Bertrand est lancée. Malgré cela, il continue de travailler à temps partiel au chenil de son père, signe que malgré son côté frondeur, il ne déborde pas de confiance et craint l'instabilité du métier.

Puis,, en 2007, alors qu'il joue à L'Assomption dans Appelez-moi Stéphane, il rencontre la femme de sa vie: la comédienne et auteure Catherine-Anne Toupin.

«J'ai connu l'amour, le vrai, avant d'être aussi connu que je le suis aujourd'hui. Pour moi, la nuance est importante et me permet de ne plus avoir de doute sur le pouvoir infini du câble.»

Cette blague sur le pouvoir infini du câble, qui fait référence au pouvoir de la télévision, revient à quelques reprises dans la conversation. C'est une blague, mais elle cache aussi une sorte d'inquiétude diffuse chez Antoine Bertrand: la peur de ne pas être aimé pour ce qu'il est, mais seulement pour son succès. C'est qu'avant de rencontrer l'amour, il a vu les attitudes et les comportements changer à son endroit. Et s'il s'en est réjoui, il n'était pas dupe.

«C'est sûr qu'il y a en moi un Yannick, le personnage que je jouais dans C.A. L'énergie du manque de confiance, celle où t'es convaincu que t'as rien à offrir aux femmes, je connais ça. Avant de rencontrer Catherine-Anne, des histoires d'amour vécues en silence, j'en avais plein mon baluchon.»

Aujourd'hui, cette inquiétude existentielle profonde lui sert sans doute de carburant quand il aborde un rôle aussi tourmenté que celui de la pièce Le Pillowman, campée dans un État totalitaire, où un auteur est arrêté et accusé d'avoir inspiré un meurtrier par ses écrits.

«Sur scène, je ne crois pas à la douleur pour la douleur. Tout comme je ne crois pas que pour interpréter la fatigue, il faut être fatigué, mais j'avoue que le personnage du Pillowman me demande une implication émotive qui me vide, mais par laquelle je suis obligé de passer pour bien rendre le personnage. À la création de la pièce à la Licorne en 2009, quand je sortais de scène, j'avais mal à l'âme. Cette fois-ci, je suis un peu plus détendu. Reste que même si je ne suis pas ce qu'on appelle un method actor et que j'aime toujours garder une certaine distance, il y a des fois où tu n'as pas le choix. Il faut que tu t'abandonnes et que ça fasse un peu mal. C'est le cas avec Le Pillowman

En attendant de se faire mal à nouveau, Antoine Bertrand va se faire un peu de bien en disparaissant dans le bois de Saint-Zénon avec son amoureuse pendant les Fêtes. Loin de la foule agitée, leurs seuls compagnons seront le foyer et, parfois aussi, la puissance infinie du câble.