Les gens les visionnent au bureau, le matin en sirotant leur café ou en soirée avant d'aller au lit. Le succès généré par les Têtes à claques, les Chroniques d'une mère indigne ou En audition avec Simon prouve hors de tout doute que les webémissions ont trouvé leur place sur l'écran cathodique, entre les productions télévisuelles et les longs métrages. Selon le palmarès du site kebweb.tv, de 100 à 150 webémissions seraient actives. Malgré tout, cette industrie naissante se cherche toujours des moyens financiers et, surtout, une identité. Quel avenir pour la webtélé québécoise? Portrait des tendances qui se dessinent.

Le quotidien des couples qui veulent sortir de leur routine sexuelle ou qui s'interrogent sur la nécessité d'avoir des enfants, des histoires dont le dénouement est déterminé par les internautes à l'issue d'un vote, ou encore des fictions mystérieuses qui invitent l'utilisateur à se creuser les méninges pour trouver la clé de l'énigme. Voilà la tendance webtélé des prochaines années: des histoires à mi-chemin entre la linéarité et l'interactivité que l'internaute peut visionner à sa guise pour ensuite partager ses impressions sur Twitter et Facebook. Reste à voir si l'utilisateur restera fidèle au rendez-vous virtuel.

Depuis le début de l'année, le site radio-canada.ca a lancé deux nouvelles webémissions dont le succès reposera essentiellement sur le bon vouloir des internautes.

Zieuter.tv, genre de Clue version webtélé, en ligne depuis le 1er mars, est une de ces nouveautés. Elle invite les utilisateurs à enfiler leur costume de détective et à lever le voile sur le mystère entourant un meurtre commis dans un restaurant.

Trois nouvelles capsules sont diffusées chaque semaine, pour un total de douze. Les gens peuvent accumuler les indices leur permettant de trouver la clé. En plus d'un blogue relié au site, ils ont aussi la possibilité de partager leurs impressions sur Twitter et Facebook et de faire leurs prédictions sur l'identité du meurtrier, celle de la victime et la pièce du restaurant où le drame est survenu.

Résultat: plus il y aura de discussions à ce sujet, plus radio-canada.ca risquera d'enregistrer un nombre important de clics.

Même phénomène pour Fabrique-moi un conte, où la participation des «webtéléspectateurs» est une condition sine qua non du succès de l'émission. Chaque semaine, depuis le 21 février, les internautes peuvent intervenir directement dans le contenu de l'épisode en votant pour le conte de leur choix (de Blanche-Neige à La Belle et la Bête en passant par Barbe-Bleue), et le lieu de l'histoire. Ils peuvent aussi voter pour le comédien qu'ils souhaitent voir dans le rôle principal. Il revient ensuite au réalisateur de mener à bien la mission confiée.     

Dans les deux cas, les patrons de radio-canada.ca se disent persuadés de générer une participation massive sur les réseaux sociaux. «On pense que les internautes vont embarquer», indique Jérôme Hellio, directeur des contenus originaux pour le secteur des services numériques de Radio-Canada. «Il y a des ingrédients qui font que la mayonnaise va prendre.»

Mais n'y a-t-il pas un risque à miser essentiellement sur le bon vouloir des adeptes des médias sociaux pour assurer le succès d'une webémission? «Le principal risque, c'est de ne pas en prendre», rétorque Alain Gerlache, chroniqueur à la Première Chaîne RTBF, la radio publique belge francophone.

À l'affût de ce qui se fait en webtélé dans les différents pays de la francophonie, M. Gerlache porte également la casquette de secrétaire général de la Communauté des télévisions francophones. Récemment sur son blogue, il a fait l'éloge de Fabrique-moi un conte. «On réinvente le conte et on réinvente la télé», nous a-t-il dit de Bruxelles. «On cherche vraiment un angle pour que le public intervienne et soit partie prenante. Il ne doit plus seulement être passif. Ça ne veut pas dire que tout le monde veut être impliqué. Mais cette possibilité doit être offerte, surtout si on veut garder le contact avec les générations plus jeunes. C'est essentiel de développer des liens avec le public. C'est sûr que si personne ne va voter, c'est gênant, ajoute-t-il. Mais si on fait un long métrage et que personne ne va le voir, c'est gênant aussi.»

Projets interactifs

Les principaux bailleurs de fonds de la webtélévision - le Fonds des médias du Canada (FMC) et le Fonds indépendant de production (FIP) - ont beaucoup insisté au cours de la dernière année pour qu'on leur présente des projets interactifs. Or, rappelons que, par le passé, les expériences interactives n'ont pas toujours été couronnées de succès.

RemYx, une websérie qui racontait les frasques de trois couples habitant dans le même triplex et qui invitait les internautes à voter à la fin de chaque épisode afin de déterminer la suite, n'a pu obtenir l'aide financière requise pour une deuxième saison.

De son côté, le producteur de DAKODAK, Julien Roussin Côté, a admis récemment, devant des artisans de la webtélé, que le contenu interactif connexe à sa production n'avait pas obtenu le succès escompté.

Même son de cloche du côté de 11 règles, websérie sur le thème de l'échangisme, diffusée sur le site de V, mettant en vedette Marie-Chantal Perron et Louis Champagne. L'idée d'interpeller les internautes en leur demandant de proposer leurs recettes aphrodisiaques n'a pas suscité l'intérêt voulu. «C'est passé dans le beurre», lance sans détour le producteur de 11 règles, Steve Kerr. «On n'a pas eu beaucoup de participation du public.»

À la lumière de ces expériences, la directrice adjointe du FIP, Claire Dion, s'interroge sur la nécessité d'offrir du contenu interactif. Rappelons que, en 2010, le Fonds a apporté son aide financière à onze projets au pays, dont quatre au Québec. «Je ne suis pas certaine... Ce n'est pas si facile que ça de créer une communauté. Peut-être qu'il vaudrait mieux garder l'argent pour le contenu de la webémission comme tel. Dans les faits, on est très proche du modèle télé. On est davantage dans les histoires linéaires.»

Jean Tourangeau, producteur télé et chargé de cours à l'UQAM, estime lui aussi qu'on assiste au retour du récit linéaire. «On s'aperçoit que les Québécois ne sont pas si interactifs, indique-t-il. Ce qu'on aime, c'est aller sur le Net et regarder un webépisode. On veut une bonne histoire. Les applications web 2.0 ont connu une baisse de popularité en 2008, poursuit-il. Selon Netendances, 19% des internautes québécois ont consulté un blogue, alors que 5,5% ont écrit sur leur blogue personnel. En 2007, ces chiffres étaient de 26% et 8,3%.»

M. Tourangeau précise toutefois qu'il existe plusieurs modèles d'interactivité. Il faut faire une distinction entre les interventions dans le contenu et le besoin de partager ces contenus sur Facebook ou Twitter, qui ont remplacé les discussions autour du photocopieur ou de la machine à café du bureau.

«Les gens veulent réagir à ce qu'ils voient, dit M. Tourangeau. Ils ne veulent pas changer les choses, ils veulent les partager.»

Message reçu.