L'excellente série télé Victor Lessard, qu'offre le Club illico depuis une semaine, est une adaptation du roman Je me souviens de Martin Michaud. L'auteur québécois, bien connu des amateurs de polars, a contribué à la scénarisation de son propre livre, troisième d'une série de quatre mettant en vedette l'inspecteur Victor Lessard et sa coéquipière Jacinthe Taillon. Nous avons parlé avec lui des avantages et des contraintes que représente le passage du roman à l'écran.

Image mentaleLa scène d'ouverture de la série est la même que celle du livre : dans un entrepôt, une femme aux cheveux blancs, debout, mains et pieds attachés, porte un carcan qui « transperce ses chairs » et « embroche les os de son sternum », décrit l'auteur dans Je me souviens. À l'écran, disons que l'image est assez impressionnante. « C'est vrai que la réalité a plus d'impact, parce que tu n'es plus dans la construction mentale », admet Martin Michaud, qui précise que dans le scénario, la scène ne tient qu'en quelques paragraphes. « Elle est décrite de façon beaucoup plus sommaire que dans le roman. C'est le travail du réalisateur, avec son propre espace créatif, de s'approprier l'univers de la scène et de la faire vivre. » Est-elle à la hauteur de ce qu'il avait imaginé ? « Oui. Je la trouve violente, mais pas gore. C'est sûr que quand tu regardes ce que j'ai écrit, je ne peux pas me cacher, c'est moi qui ai imaginé ce truc ! Et c'est assez fabuleux comme auteur de voir que des artisans ont fabriqué cette pièce, qui en plus a l'air de marcher... »

ChronologieEn comparant les 100 premières pages du livre avec les deux premiers épisodes, on constate que la chronologie des événements a été modifiée. Par exemple, cette scène dans laquelle cette future victime fait une troublante découverte en dépouillant son courrier ne survient pas du tout au même moment. « Dans un roman, tu peux te permettre à peu près n'importe quoi. Si tu es assez habile pour situer le lecteur, il va te suivre. Dans une série, la chronologie doit être plus linéaire. J'ai essayé de jouer avec ça dans les premières versions, mais ça ne passait pas le test. Il a fallu m'adapter, même si j'ai gardé le squelette de l'enquête. » Le scénario aura donc été comme un gros casse-tête. « Il y a des blocs qu'on déplace, qu'on enlève ou qui ne bougent pas. Ça devient un travail de reconstruction mais aussi de création, parce que tu ajoutes ou tu modifies de façon substantielle certains aspects. »

PersonnagesQuand on passe d'un roman de plus de 600 pages à une série de 10 épisodes de 42 minutes, l'élagage est de mise, particulièrement du côté des personnages. Oui, on constate certains ajouts : par exemple, la première victime, Judith Harper, qui était sans enfant dans le livre, est pleurée par sa fille dans la série - question « d'ajouter une charge émotive à sa mort », explique l'auteur. Par contre, plusieurs personnages de policiers ont été éliminés, ce qui profite particulièrement à Nadja, l'amoureuse de Victor Lessard, qui a pris beaucoup d'envergure dans la série. « Dans un roman, il y a des personnages qui passent rapidement, puis qui sont évacués. Ce n'est pas possible à la télé, entre autres pour une question de budget. Et tu veux que tes personnages principaux, dont fait partie Nadja, aient une implication significative dans l'intrigue. Si elle était juste la partenaire de vie de Victor, ce serait moins payant. C'est pour ça qu'on a pris la décision de l'impliquer dans l'enquête : ça nous permettait de concilier toutes les contraintes, et au niveau créatif, ça donnait de la chair au personnage. »

DeuilsL'histoire de Je me souviens se déroule en hiver de la première à la dernière page, alors qu'on ne voit pas une seule trace de neige dans la série. « Avec les budgets de production qu'on a au Québec, si on avait tourné en hiver, on aurait fait juste un épisode ! », dit Martin Michaud, qui admet que cette décision a été « un gros deuil ». Mais il rappelle que la série est une adaptation et qu'il ne faut pas s'attendre à retrouver le roman page par page à l'écran. « Si on avait fait ça, ce serait mauvais parce que la série télé a des exigences différentes. Si tu es trop protecteur de ton univers romanesque, si tu ne te laisses pas la liberté d'en sortir, tu fais un truc très statique. » S'il a hésité à embarquer dans le projet d'adaptation parce qu'il n'était pas certain de vouloir « rebrasser la même soupe », il estime aujourd'hui que la série et le livre sont comme « deux univers parallèles qui coexistent ».

BinômeLa colonne vertébrale des romans de Martin Michaud, c'est évidemment le duo formé par Victor Lessard et Jacinthe Taillon. « Au-delà des enquêtes bien ficelées, ce qu'on aime par-dessus tout, c'est ce binôme, la force de leur relation, leur complexité. Ils sont extrêmement complémentaires : Jacinthe plus pragmatique, qui est comme un personnage macho au féminin, et Victor plus introverti, plus réfléchi. » Même s'ils ont conservé « leur ADN », leur version télévisuelle a été un peu transformée. « On a modifié l'histoire antérieure de Victor, ce qui fait qu'il va réagir de façon différente. Même chose avec Jacinthe, on ne voulait pas qu'elle soit toujours en porte-à-faux avec Victor. Elle est plus allumée que dans le roman. » L'exercice, dit-il, est assez schizophrénique. « Ce qui est fou, c'est que lorsque j'écrirai le prochain roman avec Lessard, je vais devoir reprendre Victor et Jacinthe non pas où je les ai laissés dans la série, mais dans leur incarnation romanesque. Et il va falloir que je réussisse à ne pas voir les faces de Patrice Robitaille et Julie Le Breton en écrivant. » Faisable, mais difficile. « Je n'aurais pas pu rêver d'un meilleur casting. »

La suiteUne deuxième saison de Victor Lessard est déjà dans l'air, qui serait encore une fois tirée d'un roman existant. Mais tout est ouvert, affirme l'auteur, qui aimerait bien continuer à mener de front ses carrières de romancier et de scénariste. « Dans un monde idéal, il y aura une saison 2, que je finirais d'écrire quelque part en juin. Ensuite, je pourrais écrire le prochain Lessard, pour publication début 2018. Ce nouveau roman servirait-il de potentielle saison 3 ? Ou pourrait-elle être bâtie à partir d'un scénario original ? Il n'y a pas de plan à l'heure actuelle », dit Martin Michaud, qui a été aidé dans toute l'aventure par deux scénaristes - Frédéric Ouellet, avec qui il a collaboré sur quatre épisodes, et Michelle Allen pour le premier -, ainsi que par la conseillère en scénarisation Myriam Pavlovic. « C'est elle qui m'a permis de faire le saut entre l'univers romanesque et la série télé. Il me reste encore des choses à apprendre, mais si j'ai été en mesure de faire la transition de façon fluide, c'est parce que j'étais bien entouré. »