Le documentaire Janette et filles de Léa Clermont-Dion, présenté ce mercredi à Télé-Québec, retrace le parcours de Janette Bertrand, pionnière du féminisme qui s’est battue toute sa vie pour l’égalité des sexes. Nous les avons rencontrées.

Elle est un modèle pour plusieurs générations de femmes. Janette Bertrand, 97 ans, est la figure féministe la plus populaire du Québec. Une révolutionnaire qui a été la première à parler de sujets tabous, de sexualité ou encore de l’indépendance financière des femmes, à une époque où il fallait obéir à son mari.

« Elle a déniaisé le Québec », témoigne Guylaine Tremblay dans ce documentaire composé d’images d’archives, d’entrevues avec Janette Bertrand, bien sûr, mais aussi avec des femmes comme Martine Delvaux, Noémi Mercier, Claudia Larochelle, Chris Bergeron et Kim Lévesque-Lizotte.

Née en 1925, Janette Bertand a une carrière multiple et prolifique : journaliste, actrice, scénariste et autrice. Comment a-t-elle fait avancer l’égalité des sexes ? C’est la quête de la réalisatrice Léa Clermont-Dion. « Janette Bertrand voulait devenir journaliste de guerre, mais elle n’a pas pu, car elle était une femme. Elle tient alors, dès les années 1950, le courrier du cœur où elle répond aux préoccupations des femmes, ce qui a été un immense succès », explique la réalisatrice sous l’œil attentionné de Janette Bertrand qui l’interrompt. « J’ai fait ça pendant 17 ans ! Tu imagines ! Plus de 3000 textes où j’abordais les amours illicites, le désir au féminin », dit-elle.

« Et ça a créé une vraie commotion au Québec ! lui répond spontanément Léa Clermont-Dion. La société québécoise a changé grâce à ce courrier, car Janette abordait tous les tabous. Le clergé était choqué. Elle a eu un impact politique immense. »

Janette a vraiment transformé le Québec avec douceur, et elle a fait évoluer les mentalités.

Léa Clermont-Dion

La carrière d’actrice de Janette Bertrand est aussi impressionnante. Dès les débuts de la télévision, en 1954, elle joue dans la quotidienne Toi et moi à Radio-Canada. Elle va même tourner dans le film Big Red, produit par Walt Disney à Hollywood. Il y a évidemment la série Quelle famille ! (1969-1974), qu’elle écrit et où elle incarne Fernande Tremblay, une femme moderne, assumée, qui habite le quartier Rosemont avec son mari (Jean Lajeunesse) et leurs cinq enfants.

Sujets tabous

Janette Bertrand enchaîne dans les années 1980 avec l’émission Avec un grand A et Parler pour parler où elle révolutionne la télévision en parlant de sujets très intimes : l’inceste, l’alcoolisme, le suicide, le sida. Est-ce qu’il y a encore des sujets tabous aujourd’hui ? « Oui », répond Janette Bertrand sans hésiter. « Il y a la puissance sexuelle des hommes, ça, on n’en parle pas ! On ne parle pas du déclin de la sexualité chez les hommes à un certain âge, c’est tellement tabou ! C’est pour cela qu’il y a tant de déception », dit-elle.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Janette Bertrand, 97 ans, est la figure féministe la plus populaire du Québec.

« Le viol collectif est un sujet dont on est incapable de parler, alors que c’est dans l’actualité. Un autre sujet tabou qui me tient à cœur, c’est la pornographie. Quand on pense que nos garçons commencent vers 11-12 ans à regarder ça avec des amis plus âgés. C’est grave. Il faut éduquer. Il faut que les pères regardent avec eux, et leur expliquent que ce n’est pas la réalité, et qu’ils ne demandent jamais de faire ça à une fille ! C’est inconcevable », dit-elle, furieuse.

Léa Clermont-Dion pense qu’on aurait grandement besoin en ce moment d’émissions comme Parler pour parler. « Actuellement, on régresse. On retourne 50 ans en arrière par exemple aux États-Unis, le fait qu’on n’ait plus droit à l’avortement dans certains États. Il y a une misogynie exacerbée. Il y a aussi une montée de discours haineux antiféministes, je reçois des invectives qui n’ont pas de bon sens. Janette les recevait à l’époque par le clergé, les maris fâchés et le patriarcat », dit Léa Clermont-Dion.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Léa Clermont-Dion a réalisé Janette et filles, documentaire sur la vie de Janette Bertrand présenté à Télé-Québec.

Et de quoi Janette Bertrand est-elle le plus fière ? « Je suis fière d’avoir tenu le coup, d’être encore là. C’est un grand sentiment d’injustice depuis l’enfance qui m’a fait tenir le coup. Je me demandais pourquoi mes frères avaient tout et moi, qui n’étais rien qu’une fille, je voulais prouver à mon père qu’une fille, ça valait quelque chose, je voulais aller à l’université, travailler, être libre et vivre la vie d’un homme, c’est ce que j’ai fait. »

Léa Clermont-Diont est-elle la nouvelle Janette Bertrand ? « Tout à fait ! Mais attention, c’est de la job ! », lance Janette en riant. « Et surtout, ça peut avoir des répercussions sur ta vie. Dans mon cas, ça a mené au divorce. Mon mari Jean Lajeunesse, que j’admirais, je l’ai quitté [après 36 ans de vie commune], car il me disait : “Tu n’es plus la femme que j’ai épousée.” Il n’acceptait pas que je sois en désaccord avec lui. La vie me prouve que certains hommes ont changé alors que d’autres refusent encore le changement », observe-t-elle.

Pour Léa Clermont-Dion, ce documentaire est un devoir de mémoire. « Janette Bertrand est une mémoire vivante, c’est l’histoire du Québec, c’est l’histoire des femmes. J’espère que les plus jeunes vont le regarder et saluer tout ce qu’elle a accompli. »

Le documentaire Janette et filles sera présenté à Télé-Québec, ce mercredi à 20 h, puis sera offert en ligne.

Voyez le documentaire Janette et filles sur le site de Télé-Québec (après sa diffusion à la télévision)