Une poignée de personnes âgées tiennent tête à un riche propriétaire immobilier pour ne pas perdre leur logement. Est-ce un scénario de film ? Non, c’est une lutte qui se déroule réellement à Montréal, dans l’arrondissement de Ville-Marie. La journaliste Noémi Mercier en présente les coulisses dans Évincés : les aînés contre-attaquent, un percutant documentaire.

L’affaire de la résidence Mont-Carmel n’a pas fini de faire couler l’encre. En janvier, ses résidants déposaient une troisième poursuite contre Henry Zavriyev, qui s’en est porté acquéreur en décembre 2021. Après s’est opposés à la transformation de cette résidence privée pour aînés (RPA) en simple immeuble locatif à l’été 2022, ils demandent cette fois des dommages-intérêts pour la dégradation de leur milieu de vie depuis le changement de propriétaire.

Le fond de l’histoire est technique. La loi permet d’évincer des locataires lorsqu’un immeuble change de vocation. Henry Zavriyev, jeune investisseur immobilier à succès, veut se prévaloir de ce droit dans le cas de la résidence Mont-Carmel, comme il l’a fait en acquérant d’autres RPA. Or, il fait face à la résistance de locataires âgés qui allèguent que le maintien de la vocation de la résidence était inscrit à l’acte de vente.

Surprise, ces aînés sont organisés. Motivés, aussi, montre la journaliste Noémi Mercier dans Évincés : les aînés contre-attaquent, documentaire qu’elle a coréalisé avec Alexis Chartrand. « Ce qui était intéressant, c’était d’aller dans les coulisses, à l’intérieur de la résidence », raconte la journaliste, qui avait suivi l’affaire dans les médias avant de s’y consacrer.

Les articles et topos qu’il y a eu à ce sujet-là faisaient état de la situation et des actions en justice, mais personne n’était allé à l’intérieur pour documenter la dégradation du milieu de vie et à quoi ressemblait la résistance [des aînés].

Noémi Mercier

Son film montre une histoire qui n’est pas finie, mais qui soulève des questions d’actualité qui sous-tendent d’importants enjeux de société. Derrière cette histoire se profile le défi que posent le vieillissement de la population et l’accès de plus en plus difficile au logement pour la classe moyenne et les moins nantis. Il montre aussi un conflit de valeurs entre l’enrichissement personnel et le bien commun.

Noémi Mercier montre aussi combien précieux sont les espaces communs dans une RPA où la majorité des gens vivent seuls. Plusieurs locataires de la résidence Mont-Carmel racontent le deuil et le sentiment d’isolement qu’ils ont vécus lorsque leur « Salon de l’amitié » a été fermé par le nouveau propriétaire. « C’était une grande salle où ils tenaient leurs partys, leurs réunions, où ils pouvaient aller jouer au billard, énumère la journaliste. C’est là aussi qu’il y avait la chapelle. » Cet endroit a été fermé pendant environ six mois, poursuit-elle, sans égard à l’impact que ce délai a pu avoir sur le bien-être des résidants âgés.

Le documentaire raconte la détresse vécue par les aînés, mais également – et c’est l’aspect du film qui le rend exceptionnel – leur résistance. Le hasard a fait en sorte que, parmi les résidants de Mont-Carmel, quelques-uns sont des militants aguerris. Qui ont passé une grande partie de leur vie active à lutter pour la justice sociale. Trois des personnes du comité qui se trouve au cœur de la bataille sont des sœurs auxiliatrices, une congrégation religieuse peu connue, mais au profil atypique.

IMAGE TIRÉE DU DOCUMENTAIRE ÉVINCÉS : LES AÎNÉS CONTRE-ATTAQUENT

Suzanne Loiselle est l’une des locataires de la résidences Mont-Carmel qui mènent la lutte contre le changement de vocation de l’immeuble.

« [Cette congrégation] est ouvertement féministe, politisée et antipatriarcat dans l’Église, détaille la journaliste. Ces trois religieuses ont été de toutes les luttes sociales au Québec depuis un demi-siècle. » L’une de ces femmes était même au Rwanda durant le génocide. « Elles, Henry Zavriyev, 29 ans, ça ne les impressionne pas », a constaté Noémi Mercier.

Le jeune homme, décrit par un intervenant du documentaire comme un investisseur qui profite de failles du système pour procéder à des « rénovictions », ne se laisse pas démonter. Il insiste pour dire qu’il a invité les locataires à rester à la résidence Mont-Carmel et qu’il a le sentiment de faire un geste social : il loue des appartements rénovés à un autre type de personnes vulnérables, des demandeurs d’asile.

Le dénouement passera peut-être par une intervention politique, puisque le gouvernement a été interpellé par les aînés, qui souhaitent être mieux protégés contre ce genre d’éviction. « Là, tu as potentiellement des dizaines de personnes âgées qui croyaient avoir trouvé leur dernière demeure, pour qui déménager est la fin du monde, qui se retrouvent laissées pour compte, résume Noémi Mercier. Le combat des résidants de Mont-Carmel, c’est ça : s’assurer que ce processus soit encadré. »

Évincés : les aînés contre-attaquent est présenté ce vendredi, à 21 h, sur Noovo. Il sera ensuite diffusé à Noovo. ca et Noovo. info. Le documentaire est également offert sur Crave.