Dans Juste entre toi et moi, le journaliste Dominic Tardif s’entretient avec ses invités comme s’ils étaient seulement entre eux, sans micro. Anecdotes, réflexions, confidences : ces longues rencontres sont autant d’occasions de prendre congé de l’actualité et de s’imaginer que nous avons tout notre temps.

France Beaudoin, rebelle ? Il ne s’agit fort probablement pas du premier mot qui vous vient en tête lorsque vous pensez à elle. Rencontre avec une animatrice pour qui l’insoumission n’exclut pas le plein sourire.

En 1992, une très jeune France Beaudoin fait ses premiers pas dans le merveilleux monde des médias en tant que recherchiste de la matinale de CKAC. Un matin où survient une crise en Russie, la recherchiste doit mettre la main sur quelqu’un, quelque part, qui pourrait commenter les évènements. « Mais tu comprends bien que des sociologues russes, je n’en connaissais pas. »

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Aux aurores, elle téléphone donc à chacun des Tretiak ayant le malheur de se trouver dans le bottin, à la recherche d’une personne qui aurait de la famille en Russie. Et comme il est 4 h 30, plusieurs d’entre eux lui offrent des réponses un tantinet irritées. « Mais je vais finalement tomber sur un vrai sociologue », se remémore l’animatrice avec ce grand sourire plein de candeur qui est le sien.

Bien qu’elle soit arrivée à ses fins, ses patrons lui feront plus tard comprendre que de réveiller l’ensemble de la communauté russo-montréalaise afin de dénicher un intervenant n’est peut-être pas la méthode à privilégier. L’apprentie retiendra-t-elle sa leçon ? En surface, oui. Mais brider ses élans d’enthousiasme ? Jamais !

La France rock’n’roll

« En fait, ma blonde, sous ses allures très cool, est certainement une des femmes les plus rock’n’roll que je connaisse, dans sa façon de voir la vie, dans sa façon de voir le quotidien », a un jour déclaré son amoureux Vincent Graton. France Beaudoin, rock’n’roll ?

La principale intéressée précise au micro de Juste entre toi et moi que son chum aime la décrire comme une insoumise. Se faire dire qu’« on fait ça de même parce qu’on a toujours fait ça de même » ? Voilà un excellent moyen de faire apparaître la France rock’n’roll.

Mais au-delà de cette allergie au statu quo, l’insoumission de la pilote d’En direct de l’univers se manifeste surtout dans son obstination à tout déployer afin de mettre en surbrillance la part de magie que recèle la vie.

En septembre 2019, au moment où son équipe doit trouver un remplaçant à un invité qui faisait alors face à des allégations d’inconduite à caractère sexuel, il n’était pas question de se satisfaire de simplement sauver l’émission avec Normand Brathwaite comme substitut. Richard Séguin et sa Chanson pour durer toujours, avec cent choristes ? Là, on jase !

« L’idée, c’est toujours de prendre l’occasion et d’en faire quelque chose, de ne pas être victime, de ne pas s’écraser, dit-elle. Il faut qu’on magnifie ce qui se passe. J’ai toujours le réflexe de me demander : comment on va faire plus beau que ce qu’on a prévu, dans la merde où on est là ? »

La gentillesse n’est pas une faiblesse

Alors qu’elle pilote à Sherbrooke le magazine culturel La vie en Estrie, son premier vrai contrat (de 1993 à 1997), France Beaudoin se fait un jour dire par le grand patron d’une station montréalaise qu’elle est « parfaite pour la région », qu’elle a « un look de région, une pensée de région », en clair, qu’elle n’a pas ce qu’il faut pour se tailler une place sur les ondes nationales. Ayoye.

Sa réaction ? « Je lui avais tout simplement dit que je n’étais pas d’accord. » Quelques années plus tôt, quand son patron dans la salle des nouvelles de TQS en Estrie lui demande, lors de son entretien d’embauche, comment elle répliquerait si un collègue sous tension lui parlait avec rudesse, France répond : « J’espère que vous vous excuserez. »

Vous l’aurez compris : France Beaudoin est gentille parce que c’est dans sa nature, mais aussi parce qu’elle ne croit pas à l’utilité de l’acrimonie. « En tant que femme, j’ai eu à prendre ma place, j’avais l’air d’une petite fille douce », se souvient la productrice qui dirige Pamplemousse Média, la boîte derrière Mammouth, Je viens vers toi et On va se le dire. « Souvent, je me suis fait demander : “Comment tu vas trancher ? Comment tu vas t’imposer [comme patronne] ?” Ben je vais juste le dire. »

Dire non à la peur

En 2005, France Beaudoin accepte d’animer un nouveau talk-show à Radio-Canada, Bons baisers de France, auquel la moitié du bottin de l’Union des artistes avait dit non. Elle avait pourtant annoncé qu’elle quittait TVA non pas pour la concurrence, mais pour une année sabbatique. Deux patrons, dans chacune des stations, la mettront en garde contre la boue qui pourrait l’éclabousser, et qui l’éclaboussera quand son salaire sera révélé dans les médias, une controverse sur laquelle elle revient pour une rare fois au cours de notre entretien.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

France Beaudoin, en conversation avec notre journaliste

Pourquoi a-t-elle accepté ce contrat, alors qu’elle savait qu’on lui en ferait payer le prix ? « Ma mère m’avait dit : “Est-ce que c’est la peur qui va décider de ta vie ?” », se rappelle-t-elle. Une question qui la guide encore à ce jour.

La gentillesse est-elle une mollesse, comme plusieurs semblent le croire ? « Je pense au contraire que tu peux arriver à bien plus de choses, dans certains cas. J’admire ceux qui y vont à coups de poing sur la table, ça en prend, c’est complémentaire. Ce que j’aime moins, c’est qu’on sous-évalue ceux qui sont soi-disant gentils. Je pense que tu peux être gentil, dire ce que tu as à dire et faire ton chemin quand même. »

Trois citations tirées de notre entretien

À propos des mêmes visages que l’on voit sans cesse à la télé

En tant que productrice, France Beaudoin dit déployer beaucoup d’efforts afin de mettre à l’écran des gens qu’on voit plus rarement. « Oui, on voit beaucoup les mêmes personnes à la télé. Mais si on est ben, ben franc, quand on fait Pour emporter, il y a une différence de résultats d’écoute entre ceux qui sont connus et ceux qui ne le sont pas. Ce à quoi je crois, c’est à une moyenne des deux, que les uns [les connus] mettent de la lumière sur les autres. »

À propos de son amitié avec France Castel

C’est France Beaudoin qui a demandé à la comédienne de coanimer avec elle Deux filles le matin en 2000. « [France] m’a donné du lousse, la permission de ne pas être parfaite. Comme je ne pensais pas être la meilleure pour faire ça, une erreur m’apparaissait épouvantable, j’avais l’impression d’être démasquée, c’était la fin du monde. Si je n’avais pas passé ces années avec elle, je pense que j’aurais pu lâcher ce métier-là. »

À propos des raisons pour lesquelles elle refuse de célébrer ses cotes d’écoute

L’animatrice préfère ne pas trop attirer l’attention sur ses succès, afin de ne pas y être menottée. « La première fois où on a touché le million à En direct de l’univers, il y en a qui disaient : “On va envoyer un communiqué.” Non, non, non ! On garde ça de même, on ne le dit pas, c’est parfait. Ce qu’on veut, ce n’est pas de dire qu’on a un million, c’est d’avoir la liberté de créer, d’avoir du fun. On est dans le sweet spot de liberté créative. »