Une rentrée « pas comme les autres » attend les téléspectateurs cet automne. Les grèves simultanées des auteurs et acteurs aux États-Unis bouleverseront la grille horaire des grands diffuseurs américains de fond en comble, en plus de perturber l’offre des plateformes comme Netflix et Prime Video. Voici cinq conséquences directes des conflits de travail qui s’enlisent.

Des talk-shows en reprise

PHOTO BRYAN DERBALLA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

L’animateur du Tonight Show de NBC, Jimmy Fallon

Lorsque la Guilde des scénaristes américains (WGA) a déclenché la grève, au printemps dernier, les talk-shows de soirée (et Saturday Night Live) ont quitté l’antenne les premiers. Et pour cause. Les Tonight Show de Jimmy Fallon (NBC), Late Show de Stephen Colbert (CBS) et autres Jimmy Kimmel Live ! (ABC) sont tous dotés d’équipes d’auteurs comiques. Sans elles, ces rendez-vous quotidiens n’existent pas. « Ces émissions sont scriptées de A à Z, indique Pierre Barrette, directeur de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal. Il n’y a aucune improvisation. L’animateur sait quelles questions poser et connaît les réponses de l’invité. »

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Une seule catégorie de talk-shows restera en ondes cet automne : ceux diffusés en journée, qui n’ont aucun auteur attitré, comme Live ! with Kelly and Mark, The Kelly Clarkson Show, The Drew Barrymore Show ou encore The View. Leurs producteurs devront toutefois travailler d’arrache-pied pour trouver des invités puisque le syndicat des acteurs (SAG-AFTRA) défend à ses membres d’y participer.

Encore plus de téléréalités

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Too Hot to Handle sur Netflix

La production de séries de fiction suspendue (Grey’s Anatomy, Stranger Things, The Good Doctor), les grands réseaux, tout comme les plateformes de diffusion en continu, présenteront davantage de téléréalités, comme The Voice, Dancing with the Stars, America’s Got Talent, Too Hot To Handle, The Masked Singer et Love Island.

Pour l’ancien vice-président aux contenus originaux de Québecor Denis Dubois, il s’agit d’une mesure d’urgence inévitable.

Il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que d’envoyer des reprises et d’augmenter le nombre d’émissions de variétés au sens large du terme, y compris les téléréalités.

Denis Dubois

L’homme de télévision, qui a déjà occupé le poste de directeur des programmes de Télé-Québec, espère que CBS, NBC, ABC et FOX avaient prévu le bourbier dans lequel ils doivent actuellement patauger. « J’espère qu’avec la pandémie, qui avait arrêté toute la production de séries, ils ont appris qu’il faut être préparé à toute éventualité. Parce que ce n’est pas vrai qu’en l’espace de quelques jours, on peut être prêt à entrer en ondes avec plus d’épisodes. J’espère qu’ils ont préparé un plan d’urgence qui peut tenir la route durant une bonne partie de l’automne… »

Afflux de transfuges

PHOTO DANNO NELL, FOURNIE PAR PARAMOUNT

Kelly Reilly et Kevin Costner dans Yellowstone

Des séries qu’on trouvait jusqu’ici uniquement sur l’internet ou certaines chaînes câblées seront appelées en renfort. Par exemple, Ms. Marvel, une série de superhéros qui était réservée aux abonnés de Disney+, migrera vers ABC. Comme ABC est également une propriété de Disney, ce transfert semble logique.

De son côté, CBS présentera la première saison de Yellowstone. Ce néo-western mettant en vedette Kevin Costner était offert, depuis 2018, en exclusivité sur Paramount, une antenne au rayonnement beaucoup moins grand. CBS ressuscitera également SEAL Team, une série dont elle s’était pourtant départie en 2021.

Autre détail à mentionner qui rassurera les amateurs de soaps d’après-midi : General Hospital, The Young and the Restless, The Bold and the Beautiful et Days of Our Lives continueront d’être diffusés. Le conflit de travail n’affecte aucun roman-savon puisque leurs acteurs sont soumis au Network Code, une convention différente de celle qui régit la majorité des comédiens, rapporte Deadline. Quant aux auteurs de soaps, ils font la grève comme leurs homologues, mais ils sont remplacés par d’autres auteurs, des briseurs de grève engagés directement par les ABC, CBS et compagnie.

Incertitude autour des galas

PHOTO VALERIE MACON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Trophée Emmy

Les finalistes aux Primetime Emmy Awards sont connus depuis quelques semaines (Succession, The Last of Us et The White Lotus mènent le bal), mais on voit mal comment le gala pourrait avoir lieu comme prévu, le 18 septembre. D’ailleurs, différents médias américains (Variety, Los Angeles Times) rapportaient la semaine dernière que l’annonce d’un report serait imminente. FOX diffuserait le prestigieux rendez-vous en janvier, histoire de donner le temps aux parties de régler leurs différends.

Cette remise n’étonnerait personne. D’après un récent mémo envoyé aux membres du syndicat des acteurs, les cérémonies de remise de prix doivent être boycottées jusqu’à nouvel ordre. Et sans auteurs pour signer quelques blagues et numéros de présentation, les chances qu’Hollywood parvienne à livrer une cérémonie en bonne et due forme semblent faibles, très faibles. La tenue des MTV Video Music Awards (une semaine plus tôt, le 12 septembre) est également remise en question.

De tels reports pourraient heurter les secteurs télévisuel et musical, observe Pierre Barrette. « C’est habituellement un moment de promotion important pour l’industrie. »

En mai, Drew Barrymore, qui devait animer les MTV Movie & TV Awards, s’était désistée au dernier moment en signe d’appui aux revendications des scénaristes, qui venaient d’entrer en grève. Quant aux Tony Awards, présentés sans textes et sans télésouffleur en juin en raison du conflit de travail des auteurs, ils s’en sont plutôt bien sortis, grâce aux nombreux numéros musicaux planifiés.

Nos séries aux États-Unis ?

PHOTO FOURNIE PAR CRAVE

Jim Watson, Laurence Lebœuf, Ayisha Issa et Hamza Haq dans la troisième saison de Transplant

Pour sauver les meubles et combler leurs grilles anormalement dégarnies, les grandes chaînes américaines pourraient se tourner vers l’étranger. C’est ce qu’a fait NBC au printemps, en annonçant qu’elle avait commandé les troisième et quatrième saisons de Transplant, ce drame médical avec Laurence Lebœuf et Ayisha Issa. Est-ce que d’autres séries d’ici (comme l’adaptation canadienne-anglaise de Plan B, avec Karine Vanasse) pourraient connaître un sort semblable et atterrir au royaume de Joe Biden ? Pierre Barrette se montre prudent. Pour le moment, du moins.

La procédure d’achat est tellement lourde aux États-Unis. Je doute qu’une chaîne puisse se retourner de bord rapidement et faire comme : “On achète Série noire, on l’amène en doublage, puis on l’envoie en ondes !” Ça n’arrivera pas.

Pierre Barrette, directeur de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal

Un autre obstacle attend les séries d’ailleurs qui espèrent conquérir ce pays.

« Le public américain est extrêmement frileux par rapport aux émissions étrangères, souligne M. Barrette. Ça doit ressembler aux productions qu’il a l’habitude de voir. Les téléspectateurs peuvent l’accepter, mais des séries sans vedettes américaines, sans arrière-plan de Boston le matin… Ils n’aiment pas vraiment ça. Quand l’action se passe à Londres ou ailleurs, ils ont plus de difficulté à accrocher. »