Malgré l’érosion des abonnements au câble, la guerre des empires médiatiques, l’inflation et l’ascension des plateformes de visionnement sur demande, les chaînes spécialisées résistent. Pour l’instant.

Au cours des derniers jours, les chaînes spécialisées ont dévoilé les armes (ou plutôt les têtes d’affiche) avec lesquelles elles lutteront pour survivre et, surtout, obtenir les faveurs des téléspectateurs à l’automne. Canal Vie a recruté Kim Rusk (Couples en survie) et Mélissa Bédard (Tout pour vendre), Canal D a retenu les services de Mathieu Baron pour piloter J’ai frôlé la mort, CASA a confié une série de rénovation à Réal Béland (Réal débarque), et Évasion a demandé aux ex-hockeyeurs Guillaume Latendresse et Maxim Lapierre de visiter des microbrasseries (La route des micros avec Max et Guillaume).

« La plupart des canaux spécialisés sont encore rentables, indique Sébastien Charlton, chercheur au Centre d’étude sur les médias. On peut penser qu’au-delà des obligations réglementaires, les grands conglomérats médiatiques ont encore intérêt à produire ou diffuser du contenu original, ne serait-ce que pour nourrir en parallèle leurs plateformes et services en ligne. »

Directeur de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, Pierre Barrette prévoit une rationalisation prochaine des chaînes spécialisées. Sont-elles vouées à cesser leurs activités, comme Vrak, qui disparaîtra dans quelques semaines ? Peut-être, mais pas tout de suite.

« Aux États-Unis, on annonçait la disparition des chaînes spécialisées il y a 10, 15 ans, quand les gens ont commencé à résilier massivement leur abonnement au câble. Mais elles sont encore présentes », souligne le professeur.

Optimisme

Du côté des diffuseurs, l’optimisme prédomine quant à l’avenir de Zeste, d’ICI ARTV, de Séries Plus et compagnie.

« J’aimerais avoir une boule de cristal », illustre Mélanie Bhérer, directrice générale, variété, style de vie, documentaire et numérique, chez Bell Média Québec.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Mélanie Bhérer, directrice générale, variété, style de vie, documentaire et numérique, Bell Média Québec

Je sais une chose : notre star-système est fort. Les gens vont toujours vouloir consommer du contenu québécois.

Mélanie Bhérer, directrice générale, variété, style de vie, documentaire et numérique, Bell Média Québec

L’érosion des abonnements au câble est loin d’être terminée, croit Dany Meloul, directrice générale, télévision, de Radio-Canada. Cet effritement risque de « durer encore un bout », concède-t-elle. « Mais Netflix, c’est un abonnement. Prime Video, c’est un abonnement. Cette notion de s’abonner à quelque chose parce qu’on aime la marque ou l’ADN, c’est le modèle des plateformes. »

Des signes encourageants

Quelques statistiques montrent qu’au royaume des chaînes spécialisées, tout n’est pas sombre.

Bien qu’en télévision linéaire, les heures d’écoute poursuivent leur décroissance (-8,5 %) auprès des 25-54 ans (groupe cible des publicitaires), les stations spécialisées s’en tirent mieux (-5,6 %) que leurs homologues généralistes (-11,1 %), d’après les données 2022 et 2021 de Numeris au Québec francophone, colligées par Cossette Média.

Les chaînes spécialisées ont également gagné 4 % en parts de marché, alors qu’on observe un recul de 3 % du côté des généralistes, révèle le même rapport de Cossette Média.

L’inflation pourrait toutefois accélérer la baisse du nombre d’abonnés aux chaînes spécialisées, estime Sébastien Charlton, du Centre d’études sur les médias. Selon le chercheur, le ralentissement potentiel de l’économie pourrait également entraîner une diminution des dépenses des annonceurs. Pour compenser cette perte de revenus, les chaînes spécialisées pourraient freiner – voire stopper – la production de contenu original.

« C’est toutefois plus compliqué pour certains types de chaînes, dont les chaînes sportives, qui peuvent avoir des ententes à plus long terme – ou plus coûteuses – à respecter », ajoute Sébastien Charlton.

Le sport et l’information épargnés… ou presque

Deux types de chaînes spécialisées semblent loin de l’extinction : celles de sport et celles d’info en continu. Leur situation n’est pas parfaite, mais d’ordre général, elles réussissent à tirer leur épingle du jeu.

D’après un rapport de Cossette Média paru jeudi dernier, les chaînes sportives figurent parmi les favorites des adultes de 25 à 54 ans. RDS (1 712 000 abonnés) arrive au 2e rang, et TVA Sports (1 324 000 abonnés), au 4e rang.

Les parts de marché de l’antenne sportive de Québecor ont toutefois plongé de 27 % auprès du même public en 2022, notamment en raison des « mauvaises performances du Canadien » de Montréal, signale l’étude. Inversement, celles de RDS ont augmenté de 7 %. Selon Cossette, « la variété des évènements sportifs de haut niveau (hockey, football, tennis, golf et Formule 1) » qu’elle propose explique cet accroissement.

De leur côté, les parts de marché de LCN et d’ICI RDI ont toutes deux grimpé de manière significative auprès des 25-54 ans. Celles de LCN ont bondi de 19 % et celles d’ICI RDI ont augmenté de 14 % par rapport à l’année précédente.

Selon la firme québécoise de publicité, « l’intérêt des téléspectateurs à s’informer sur l’actualité mondiale, la guerre en Ukraine, la scène politique et sociale canadienne et américaine, et les catastrophes environnementales » expliquent cette hausse marquée.

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Luce Julien, directrice générale de l’information de Radio-Canada

« Pendant la pandémie, les chaînes d’information en continu ont connu beaucoup de succès, raconte Luce Julien, directrice générale de l’information de Radio-Canada. On craignait de perdre un peu d’auditoires après, mais non. Le public qui nous suivait en temps de pandémie est toujours présent. Pour l’année 2022-2023, on récolte 4,1 parts de marché. C’est un record pour nous. »

ICI RDI aurait également réussi à rajeunir son auditoire, gracieuseté d’émissions comme Les décrypteurs et Zone économie, ajoute Sébastien Perron. En trois ans, la moyenne d’âge des téléspectateurs du réseau est passée de 65 ans à 59 ans.

Lisez « La crise identitaire des chaînes spécialisées »