Bien qu’elles réussissent à traverser l’Atlantique plus fréquemment qu’auparavant, nos séries continuent d’avoir toutes les misères du monde à pénétrer dans un marché pourtant beaucoup plus proche : les États-Unis.

La route que doivent emprunter nos productions pour franchir la frontière canado-américaine et faire l’objet d’une adaptation en anglais est longue, sinueuse et jonchée d’obstacles. Et lorsqu’elles suscitent assez d’intérêt pour réussir les premières étapes, elles atteignent rarement l’objectif ultime, soit d’atterrir en ondes.

Au cours des dernières décennies, une poignée de formats originaux québécois ont presque réalisé l’exploit. En 2019, FOX a commandé un pilote (épisode prototype qui permet au diffuseur d’avoir une meilleure idée du projet) d’Adam et Ève, cette comédie sentimentale mal-aimée de Claude Meunier, débranchée par Radio-Canada après une seule saison en 2012, dans laquelle Sophie Cadieux et Pierre-François Legendre jouaient un couple à trois âges différents. Le diffuseur américain « adorait le concept », mais l’adaptation n’a jamais intégré sa grille-horaire, nous raconte Monic Lamoureux, coprésidente d’Avanti Groupe.

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Pierre-François Legendre et Sophie Cadieux dans Adam et Ève

« On n’a pas été choisi, mais on a vécu l’expérience jusqu’au bout », relativise-t-elle.

Au début des années 2010, HBO prévoyait adapter le populaire Taxi 0-22 de Patrick Huard avec James Gandolfini au volant. Puisque rien n’aboutissait, CBS a ensuite repris le flambeau, et John Leguizamo a même tourné un pilote. Mais après plusieurs délais en raison de problèmes de distribution des rôles, le projet est tombé aux oubliettes.

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Patrick Huard dans Taxi 0-22

Au cœur des années 1990, l’émission de caméras cachées Surprise sur prise de Marcel Béliveau, qui était pourtant vendue sur toute la planète, a subi le même sort.

L’exploit des Pêcheurs

Une série québécoise peut s’enorgueillir d’avoir inspiré un remake américain : Les pêcheurs de Martin Petit. Débarquée sur Netflix en octobre 2020, The Cabin différait passablement de l’original québécois diffusé à Radio-Canada de 2013 à 2017. Piloté par Bert Kreischer, The Cabin proposait des conversations improvisées avec l’humoriste floridien, alors qu’au départ, chaque scène des Pêcheurs était scénarisée.

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The Cabin, l’adaptation américaine des Pêcheurs

Martin Petit admet qu’il n’aurait jamais pu concrétiser ce projet s’il avait refusé qu’on altère son concept initial. « Quatre, cinq ans plus tôt, on avait visité toutes les stations en présentant une version scriptée qui respectait l’original avec Jason Alexander, de Seinfeld. Je n’avais pas envie de refaire le tour, avec le même pitch. »

Martin Petit sait combien la vente et l’adaptation des Pêcheurs aux États-Unis relèvent du tour de force, d’autant plus qu’en 2013, la société Dreamworks de Steven Spielberg avait repris Starbuck au cinéma, d’après son scénario coécrit avec Ken Scott.

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Le comédien Martin Petit

C’est assez exceptionnel parce qu’au départ, les Américains s’en câlissent du Québec. Ce n’est pas dans leur ADN de s’intéresser à ce qu’on fait ici. Leur mentalité, c’est d’être comme : ‟C’est nous les meilleurs. C’est nous qui inventons des affaires. Pis c’est nous qui allons les propager.”

Martin Petit

Chauvins, les Américains

Le chauvinisme américain expliquerait – en partie, du moins – la raison pour laquelle Hollywood exporte beaucoup et importe peu, et donc pourquoi les productions québécoises peinent à tirer leur épingle du jeu au pays de l’Oncle Sam.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Josée Vallée, vice-présidente exécutive aux fictions et longs métrages de Sphère Média

Les Américains sont chauvins dans tout : en politique, en sport… C’est la même chose en télévision.

Josée Vallée, vice-présidente exécutive aux fictions et longs métrages de Sphère Média (19-2, Cerebrum, Aller simple)

« Ils sont exportateurs de culture ; pas importateurs », ajoute Nicola Merola, président de Pixcom (Indéfendable, Alertes).

Un rapide coup d’œil aux séries de fiction étrangères qu’ils ont adaptées au cours des dernières années suffit pour confirmer cette affirmation. Résultat : elles sont peu nombreuses et, surtout, largement minoritaires par rapport aux productions originales qu’ils envoient dans l’univers. Parmi leurs plus récentes adaptations, on compte The Good Doctor (inspirée d’un format sud-coréen), House of Cards (Royaume-Uni), The Office (Royaume-Uni) et Homeland (Israël).

L’art du compromis

Comme Martin Petit, les producteurs québécois qui souhaitent exporter leurs formats aux États-Unis doivent être particulièrement ouverts aux compromis. Et pas n’importe lesquels.

Directeur général et associé chez KOTV, la boîte derrière Plan B, Zénith et Entre deux draps, trois titres ayant dépassé les frontières du Québec sans toutefois (pour l’instant) conquérir le marché américain, Louis-Philippe Drolet parle de demandes exigeantes.

On sait qu’on a un bon show quand les États-Unis s’y intéressent. Mais aussitôt qu’on commence à négocier, ils nous disent : ‟On achète votre show à condition qu’on n’ait pas besoin d’avoir votre approbation pour changer quelque chose. Et après, si vous voulez nos changements, vous devrez payer.”

Louis-Philippe Drolet, directeur général et associé chez KOTV

Certaines boîtes de production refusent les compromis, comme Avanti Groupe avec Un gars, une fille. Au milieu des années 2000, l’entreprise avait vendu le format créé par Guy A. Lepage aux États-Unis, mais lorsqu’elle a réalisé que l’adaptation servait essentiellement à promouvoir des produits commerciaux, chose qu’elle avait pourtant expressément écartée en négociations, un conflit a éclaté. Une demande d’injonction plus tard, la diffusion sur TBS a cessé.

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Guy A. Lepage et Sylvie Léonard dans Un gars, une fille

« Ils avaient dénaturé le produit, raconte Monic Lamoureux. On n’a pas voulu laisser aller une pâle copie en ondes. »

Aujourd’hui, Un gars, une fille (Love Bugs, en anglais) compte 31 adaptations à travers le monde. Et d’année en année, d’autres viennent gonfler ce nombre. Voilà pourquoi Monic Lamoureux n’entend pas accepter n’importe quelle demande lorsqu’un producteur américain témoigne une pointe d’intérêt.

Ils veulent avoir des droits mondiaux. Je peux comprendre. Mais je n’ai pas envie qu’ils cannibalisent mon marché existant en produisant une version qui risque du tuer toutes les autres.

Monic Lamoureux, coprésidente d’Avanti Groupe

Vendue dans 148 pays et territoires, LOL compte également parmi les succès planétaires québécois qui n’ont jamais vraiment réussi à conquérir les États-Unis. La sitcom muette de ComediHa ! est certes présentée depuis quelques années sur Estrella TV, mais puisqu’il s’agit d’une petite chaîne de langue espagnole, loin des ABC, NBC et autres grands diffuseurs, la nouvelle n’a jamais été propagée.

PHOTO FOURNIE PAR COMEDIHA !

Une scène de LOL

« Avec les États-Unis, les négociations ne sont jamais faciles, parce qu’ils sont en position de force », signale Alexandre Avon, vice-président – Distribution internationale d’Amuz Distribution, une division de ComediHa ! (LOL, À propos d’Antoine).

« Ils savent que vendre aux États-Unis, ça ouvre toutes les portes, renchérit Michel St-Cyr, producteur exécutif chez Groupe Fair-Play (Révolution, 100 génies). Quand une grosse chaîne américaine embarque, le reste du monde suit automatiquement. C’est pour ça qu’en négociations, ils demandent beaucoup de choses. »

Lisez notre article « Notre télé est-elle assez bonne pour les États-Unis ? »