Il y avait de la frénésie dans l’air à l’entrée du Gala des prix Gémeaux, au Théâtre Maisonneuve, dimanche. Tenues scintillantes, accolades, rires bruyants : on se serait cru dans un gigantesque party de Noël de la colonie artistique, où nos vedettes préférées, amies de longue date, profitaient du tapis rouge (au lieu du sapin…) pour échanger les dernières nouvelles.

Et pourtant, l’avenir des galas, au Québec comme ailleurs, n’a jamais été aussi fragile. TVA a écarté, l’an dernier, le Gala Artis de sa programmation. Radio-Canada ne compte plus présenter, du moins pour l’instant, les émissions spéciales tapis rouges qui précédaient traditionnellement ses remises de prix (Gémeaux, ADISQ, Olivier), et a envoyé valser le Gala Québec Cinéma, lequel a toutefois été récupéré par Noovo et encensera l’industrie du septième art pour une 25e édition en décembre. Et les cotes d’écoute de ces grands-messes du trophée, quoiqu’encore honorables (834 500 téléspectateurs pour les récents Olivier, 1 010 000 et 958 000, respectivement, pour l’ADISQ et les Gémeaux en 2022), n’ont plus le même éclat qu’auparavant.

Bref, le niveau d’engouement envers ces soirées et le faste qui les entoure – les toilettes somptueuses, les discours de remerciement, les larmes d’émotion et le champagne qui coule à flots aux cocktails pré- et post-cérémonie – paraît actuellement bien ambigu.

Chez les artistes, l’opinion semble unanime. Oui, nos étoiles aiment encore les galas où elles brillent et se font chouchouter. Ces évènements jouent même un rôle crucial dans la promotion de notre culture, estiment-elles. Mais peut-être pas à n’importe quel prix.

« C’est un beau moment pour célébrer l’industrie ensemble et donner un second souffle à des séries », a analysé Sophie Cadieux, lauréate, dimanche, dans la catégorie du meilleur rôle de soutien : jeunesse pour son rôle dans Lou et Sophie. « Ça donne une fierté aux artisans, un retour de nos pairs. »

Crise des médias

Galvanisé par les victoires de deux de ses productions, Audrey est revenue (production s’étant le plus illustrée à l’étranger) et Indéfendable (meilleure série dramatique quotidienne), Charles Lafortune avait quand même en tête la faillite annoncée, quelques heures plus tôt, du journal Métro, énième symbole d’une « crise des médias sans pareil », a-t-il déploré.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le producteur Charles Lafortune, au moment de la réception du prix Gémeaux décerné à la série Indéfendable, dimanche

Les réseaux de télévision privés perdent 80 % de leurs revenus publicitaires. Des gens qui font de la télé ne regardent pas la télé, ce qui me fait capoter. C’est un wake-up call [appel à se réveiller], parce que, sinon, on n’en aura plus, de télé. On va revenir à La petite maison dans la prairie à 19 h, et ça sera vraiment déprimant !

Charles Lafortune

Antoine Bertrand plaide pour sa part pour une réflexion nécessaire sur l’évolution du concept.

« Le but est toujours de donner aux gens le goût de consommer notre culture, peu importe la forme. Si, à un moment, ça dévie et que le résultat n’est plus là, il faudra y penser et se réinventer… »

Aller plus loin

Pour l’heure, Radio-Canada maintient les éditions à venir des galas de l’ADISQ et Les Olivier – car leurs retombées se font sentir sur leur industrie respective dans les jours suivant la célébration, ce qui n’était pas le cas avec le Gala Québec Cinéma –, mais ne prête aucun serment en ce qui a trait à leur diffusion dans un avenir plus lointain. Suivant le même raisonnement qu’Antoine Bertrand, l’institution publique croit davantage aux rendez-vous événementiels qu’aux statuettes, comprend-on.

On croit aux émissions à grand déploiement et hautement divertissantes. C’est important que le public fasse partie de la fête.

Dany Meloul, directrice générale de la Télévision de Radio-Canada

La mise à mort des tapis rouges télévisés à ICI Télé, elle, se justifie par une envie d’apporter une proposition différente. Souvent le théâtre de questions superficielles, ces mises en bouche n’en permettaient pas moins au public à la maison de prendre le pouls de l’ambiance d’un gala sur place. Au lieu d’un tapis rouge, cette année, on a relayé, avant le happening piloté par Pierre-Yves Lord, une édition spéciale de Retour vers la culture consacrée aux Gémeaux.

« C’est un test, toujours dans l’optique de faire avancer les choses. On voulait aller de façon un peu plus approfondie que : ‟Comment tu t’es senti quand tu as joué ce rôle ?”, avec des explications en 30 secondes avant qu’on passe à un autre artiste », a encore soutenu Dany Meloul.

Noovo n’a pas répondu aux questions de La Presse à savoir si le prochain Gala Québec Cinéma, qu’animera Jay Du Temple, sera agrémenté d’un tapis rouge ou d’une autre émission spéciale d’accompagnement. Même mutisme du côté du producteur Sphère Média.