Imaginez une œuvre biographique qui ignore les humbles débuts de son sujet et qui commence plutôt par ses premiers succès. C’est un peu l’histoire qu’on racontait à propos du hip-hop d’ici et c’est ce que la série documentaire Les racines du hip-hop au Québec rectifie. Nous en avons discuté avec son créateur, le journaliste Félix B. Desfossés, son coanimateur, le rappeur Imposs, et le pionnier Flight.

Pour plusieurs, le hip-hop ne s’est imposé au Québec qu’en 1997 grâce aux 125 000 exemplaires vendus de La force de comprendre, de Dubmatique. Certains se souviennent de la chanson Le Rap-à-Billy, de Lucien Francœur, lancée en 1983. On se rapproche de la véritable époque des balbutiements du hip-hop québécois, mais le vénérable Lucien n’a rien à voir avec cette culture. Il fallait ouvrir grand les oreilles et connaître les bonnes personnes, mais MC, DJ, graffiteurs, b-boys et b-girls œuvraient bel et bien à Montréal et dans les environs à la fin des années 1970.

« De 1978 à 1983, tout le monde se connaissait dans le milieu, indique Flight. Peu importe si tu habitais le centre-ville, Petite-Bourgogne, NDG [Notre-Dame-de-Grâce], Côte-des-Neiges ou même la Rive-Sud, on formait un groupe tissé serré, car seulement quelques endroits acceptaient qu’on y joue du hip-hop. »

Malgré les liens forts entre les membres de cette communauté, le temps a fait son œuvre, et les rassembler pour créer les huit épisodes de la série a été ardu. « J’ai mis sept ans à trouver ces gens-là et à leur parler », révèle Félix B. Desfossés à propos de Shanwan et Butcher T, deux des acteurs principaux de cette époque. C’est l’animateur de l’émission phare Club 980 sur CKGM, Michael Williams, qui lui avait conseillé de les contacter afin de bien raconter l’histoire du hip-hop québécois.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Rudy Philius, alias Flight, est l’un des premiers DJ à avoir organisé des rassemblements hip-hop à Montréal.

Un pan de la culture québécoise

Avant Les racines du hip-hop au Québec, qui sera diffusée sur les plateformes web et mobile de Télé-Québec dès le 1er février, le journaliste spécialisé en histoire de la musique a publié, en 2020, un livre du même nom aux éditions Quartz. Inspiré par le mouvement Black Lives Matter, il voulait « déboulonner » certains mythes au Québec, notamment sur l’histoire du hip-hop. Puisqu’il ne prétend pas faire partie de cette culture, Félix B. Desfossés a fait appel à Imposs, de Muzion, pour poursuivre son exploration.

J’ai appris plein d’affaires. Pour moi, ce n’était pas qu’un cool projet culturel, c’était nécessaire. C’était crucial d’archiver tout ça pour le patrimoine de la culture québécoise. C’est la musique prédominante dans le monde et on raconte enfin comment ça s’est passé ici.

Le rappeur Imposs

Un autre aspect qui a séduit Imposs est le jumelage entre pionniers et artistes de la présente génération proposé à chaque épisode. On voit par exemple le duo féminin des années 1980 Wavy Wanda et Baby Blue puis le jeune rappeur Zach Zoya ou les vétérans du breakdance DKC Freeze et Pierre Perpall Jr. puis le producteur Shash’U. « Le côté multigénérationnel montre à la fois qu’ils nous ont légué quelque chose qui perdure, mais aussi que des enjeux qui existaient, comme la barrière de la langue, sont encore là aujourd’hui », souligne Imposs.

Le documentaire soulève l’hypothèse que l’adoption de la Charte de la langue française en 1977 puis le référendum en 1980 ont été à la fois un moteur du besoin d’expression d’artistes anglophones, mais aussi un frein à la couverture médiatique de leur œuvre. Le manque de soutien (institutionnel, financier, etc.) pendant de longues années en a poussé certains à s’exiler et d’autres à tout simplement accrocher leur micro, leur contribution culturelle laissant par conséquent peu de traces.

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Le rappeur Imposs et le journaliste Félix B. Desfossés

Des « personnages » attachants

En plus des jumelages, Les racines du hip-hop au Québec donne lieu à de nombreuses rencontres émouvantes. D’un épisode à l’autre, nous sommes témoins de vieilles amitiés qui reprennent leur cours, certaines près de 40 ans après leurs débuts. Dans le dernier épisode, la majorité des intervenants est réunie lors d’un authentique block party.

« Je me suis inspiré de la formule de l’émission avec Marina Orsini Deuxième chance. Quand les gens se retrouvaient à la fin, moi, je pleurais. Je ne suis pas hip-hop, je dis ces affaires-là, confie en riant Félix B. Desfossés. [Dans ma série], j’étais touché de voir ces gens se retrouver. Leurs anecdotes se recoupaient aussi ; ils me racontaient le même party auquel ils avaient assisté et me parlaient avec la même passion du même DJ ou du même MC. On devait les rassembler pour voir à quel point ils ont vécu des choses puissantes ensemble. »

Lorsqu’on demande au trio son moment préféré du tournage, un consensus survient rapidement. « La première fois que j’ai rencontré Flight en 2012, il m’a parlé de Freaky D avec tellement de passion. Quand je l’ai enfin rencontrée, je l’ai non seulement trouvée aussi hot que ce qu’il m’avait décrit, mais en plus elle se dit punk. Qu’on ait eu une rappeuse afropunk qui faisait des shows aux Foufs, je trouve ça fou », lance Félix. « Revoir my girl Freaky m’a vraiment touché. On se connaît depuis 1978 et se retrouver toutes ces années plus tard, chauve avec du blanc dans la barbe, it’s love », ajoute Flight.

Dès le 1er février à video.telequebec.tv