Même habitués à plus de diversité que leurs aînés, les cégépiens de Montréal issus de différentes communautés ne s’entendent pas tous comme les meilleurs amis du monde. Deux ans après la sortie du long-métrage Maisonneuve – À l’école du vivre ensemble, une nouvelle série documentaire de six épisodes, présentée jeudi aux Rendez-vous Québec Cinéma, continue d’explorer les défis de la cohabitation multiculturelle dans l’un des plus gros cégeps en ville, tendant un miroir à notre société tout entière.

Il y a un peu moins de 10 ans, la direction du Collège de Maisonneuve a eu un geste audacieux : elle a accepté qu’une équipe de tournage se promène dans ses corridors pendant une année scolaire complète, filmant les interactions entre les élèves et les frictions entre différents groupes. Qu’un établissement accepte une telle chose est déjà exceptionnel. Qu’il le fasse dans un contexte explosif est d’autant plus remarquable.

Rappelons les faits. En 2015 et en 2016, des élèves du Collège de Maisonneuve sont partis faire le djihad en Syrie. Une dizaine d’autres ont été arrêtés avant leur départ. L’affaire a fait les manchettes. Et lorsque l’équipe de tournage débarque au cégep situé à quelques minutes du Stade olympique, à la rentrée d’automne 2017, la poussière n’est pas encore retombée.

PHOTO MYRIAM FRENETTE, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Le réalisateur Jean-Martin Gagnon

La série Maisonneuve revient sur cet évènement, mais s’attarde surtout à ses conséquences. C’est-à-dire la méfiance qui s’est installée envers les élèves d’origine maghrébine, très nombreux dans cet établissement, ainsi que les bons et moins bons côtés du programme « vivre ensemble » mis en place pour favoriser le dialogue, l’intégration et la cohésion.

L’essentiel des images de la série provient des 80 mêmes jours de tournage que le documentaire présenté en 2021. On retrouve Mohammed Mimoun (le travailleur de corridor), Érik Pirro (animateur culturel) et plusieurs collégiens très éloquents qu’on connaît déjà. Or, le documentaire réalisé par Jean-Martin Gagnon retourne aussi discuter avec les « personnages principaux » du film présenté il y a deux ans, qui posent un regard plus apaisé – mais pas forcément moins critique – sur les défis auxquels ils ont fait face au cours de l’année 2017-2018.

Laboratoire de cohésion sociale

L’intérêt de Maisonneuve tient à sa neutralité : il ne juge ni les élèves de l’association étudiante (perçus par certains comme une clique de gauchistes radicaux peu à l’écoute) ni les porte-voix des élèves d’origine maghrébine (dont certains affichent un conservatisme qui choque jusqu’à des membres du personnel). Ici, chacun a droit à son temps de parole et ni la caméra ni le montage ne cherchent à commenter l’action.

  • Le travailleur de corridor Mohammed Mimoun est l’un des grands responsables du dialogue interculturel mis en place au Collège de Maisonneuve.

    IMAGE TIRÉE DE LA SÉRIE MAISONNEUVE

    Le travailleur de corridor Mohammed Mimoun est l’un des grands responsables du dialogue interculturel mis en place au Collège de Maisonneuve.

  • Kaëlla Stapels, membre de l’exécutif de l’association étudiante du Collège de Maisonneuve en 2017-2018.

    IMAGE TIRÉE DE LA SÉRIE MAISONNEUVE

    Kaëlla Stapels, membre de l’exécutif de l’association étudiante du Collège de Maisonneuve en 2017-2018.

  • Idir Mazouzi, lors d’une assemblée de l’association étudiante du Collège de Maisonneuve en 2017-2018.

    IMAGE TIRÉE DE LA SÉRIE MAISONNEUVE

    Idir Mazouzi, lors d’une assemblée de l’association étudiante du Collège de Maisonneuve en 2017-2018.

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Ce que la série donne à voir est, une fois de plus, un véritable laboratoire de cohésion sociale où s’entrechoquent idéaux politiques, biais plus ou moins conscients, valeurs sociales ou religieuses. Bref, c’est un microcosme de tout ce qui se brasse dans la société.

Il rappelle qu’un élément de l’islam comme le hijab heurte au-delà de la signification qu’il a pour celle qui le porte. Il montre aussi combien la démocratie étudiante est difficile et qu’il est assez facile, à 17 ans, de mener des combats personnels en oubliant que son rôle est de représenter la majorité. Il montre, en fait, comment même des jeunes qui ont pour la plupart vécu dans une société bien plus métissée que leurs parents peinent à prendre conscience de leurs propres biais.

Maisonneuve fait la démonstration que, même formidablement bien intentionné, le dialogue interculturel reste difficile. L’écrivain et essayiste Amin Maalouf a déjà écrit qu’on réagit par là où on est attaqué. À 17 ou 18 ans, âge où on cherche à affirmer son individualité, les cégépiens réagissent fortement à ce qui est perçu comme une attaque envers leur identité. C’est vrai pour les élèves maghrébins qui vivent du racisme et c’est vrai pour les jeunes de l’association étudiante, issus de la majorité blanche.

On vit plusieurs malaises en regardant Maisonneuve. Cet inconfort est le signe que ses artisans ont fait un travail équilibré. Que les chocs d’idées et de valeurs qu’ils montrent méritent qu’on s’y attarde si on souhaite construire une société où chacun a sa zone de liberté tout en ayant à cœur de collaborer avec son voisin, que sa famille soit enracinée ici depuis de nombreuses décennies ou qu’elle se soit posée au Québec plus récemment.

Les six épisodes seront présentés jeudi, 20 h, au Cineplex Odeon Quartier latin, dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma. La série sera ensuite offerte, dès vendredi, sur ONF.ca.