Dans la websérie Discrètes, deux préposées à l’entretien d’une tour de bureaux se font justice elles-mêmes à la suite d’une agression sexuelle. Discussion avec Juliette Gosselin et Sophia Belahmer, coscénaristes et coréalisatrices de cette nouveauté offerte sur l’Extra d’ICI Tou.tv.

On pourrait croire que les différents cas d’agressions sexuelles qui ont fait la manchette récemment ont servi d’inspiration à Juliette Gosselin et Sophia Belahmer. On pourrait supposer que le mouvement #moiaussi (#metoo), qui a ébranlé de nombreux milieux en 2017 et dans les années suivantes, a allumé chez elles une étincelle créatrice.

Et pourtant ! Les balbutiements de cette série précèdent ces évènements. « On a commencé ce projet-là en 2014 », précise Sophia Belahmer.

« Quand il y a eu #metoo, ça a surpris beaucoup d’hommes, affirme Juliette Gosselin. Mais pour les femmes, je pense que ce n’était pas si surprenant que ça. Nous, entre amies, entre collègues, on se confiait des situations, des petites violences comme des plus grandes, mais toutes des violences à caractère sexuel auxquelles on avait été confrontées dans notre vie. On se rendait compte que c’était très fréquent. »

Pendant toutes ces années de développement, elles auraient aimé que la société change à un point où le projet n’aurait plus eu sa raison d’être. « On rêve du jour où notre série ne sera plus pertinente, mais on est très loin de ça. […] Il reste énormément d’éducation à faire », croit Juliette Gosselin, qui joue également le personnage de Macha dans l’émission.

Explorer la « zone grise »

S’il s’est écoulé autant de temps entre l’idée de départ et la sortie de Discrètes, c’est parce que les deux amies se sont heurtées à de nombreux refus de la part des diffuseurs. Selon Sophia Belahmer, ils ont été plusieurs à ne pas oser s’aventurer sur ce « terrain glissant ». « On ne voulait pas changer notre fin. On ne voulait pas changer nos personnages. On voulait travailler la zone grise », indique-t-elle.

L’exploration de cette « zone grise » débute dès le premier épisode alors que Gaby (Aurélia Arandi-Longpré) croise à une heure tardive, dans les locaux où elle fait le ménage, un avocat nommé Manu (Olivier Gervais-Courchesne).

Comme Macha, qui est à ce moment-là cachée sous un bureau, le téléspectateur ne voit rien, mais entend tout. Le flirt entre les deux jeunes adultes. Le « attends », rempli d’inconfort, prononcé par Gaby après un baiser. L’absence de « oui ». Mais l’absence de « non » aussi.

La plupart des agressions se produisent dans cette espèce de silence. Beaucoup de femmes vont se figer. Beaucoup de femmes, à ce moment-là, n’auront pas le courage, la force ou la lucidité de dire un non clair. La vérité, c’est que la plupart des agressions se passent dans cette zone un peu floue.

Juliette Gosselin

Avec cette scène, les deux réalisatrices souhaitaient amener le téléspectateur à réfléchir à la notion de consentement. « Ça ouvre la porte à la discussion », soutient Sophia Belahmer.

Car, dans Discrètes, personne n’est dépeint comme le « grand méchant loup » et aucune victime n’est irréprochable.

Tout au long de la websérie, on suit la vengeance orchestrée par Gaby et Macha, qui multiplient les actes de sabotage pour faire payer l’avocat. En discutant avec les créatrices, on comprend qu’il existe une gradation dans les actions posées. On a vu les six premiers épisodes, mais le meilleur – ou le pire, selon le point de vue – reste à venir, promet le duo.

La colère des femmes

Inspirées par Thelma et Louise, « qui a marqué [leur] éducation cinématographique », les deux amies souhaitaient mettre en scène des personnages féminins forts capables de s’indigner. « Des filles badass », résume Juliette Gosselin.

Un autre aspect qui a été mal reçu par les diffuseurs potentiels, indique-t-elle. « La colère des femmes fait peur, je pense. On a tellement l’habitude de voir des gars qui tirent du gun, qui se battent, qui sont violents. C’est tellement banalisé dans notre société ! Mais quand une femme se fâche, par contre… »

J’ai l’impression qu’il y avait quelque chose qui faisait peur aux diffuseurs dans la manière qu’ont nos personnages de réagir très férocement à l’injustice qu’elles subissent.

Juliette Gosselin

Pourquoi Sophia Belahmer et elle tenaient-elles à mettre de l’avant cette colère féminine ? « Ça partait d’une indignation qu’on ressentait et qu’on a voulu traduire dans nos personnages », répond la comédienne.

Chaque fois qu’elles ont entendu les témoignages de femmes agressées, elles ont ressenti une colère.

« Quand ça nous arrive, on balaie ça, on ne veut pas en parler. Mais quand ça arrive à d’autres, c’est là que l’indignation nous happe », pense Juliette Gosselin.

C’est exactement cette dynamique qu’elles ont reproduite dans Discrètes : Gaby minimise ce qu’elle vit, alors que Macha tient à ce que justice soit rendue.

Si le sujet de ce « thriller féministe aux pointes d’humour noir » est lourd, l’amitié entre les deux personnages y apporte un côté lumineux, font valoir les deux créatrices.

« Il y a toujours un bon côté des choses », croit Sophia Belahmer. Gaby a vécu un « grand drame », mais « elle a sûrement trouvé sa meilleure amie aussi », souligne-t-elle.

Et pour Juliette Gosselin et Sophia Belahmer, qui sont devenues amies pendant leurs études en cinéma il y a une dizaine d’années, une relation comme celle-là, c’est très précieux.

Les six premiers épisodes de Discrètes sont offerts sur l’Extra d’ICI Tou.tv. Les quatre derniers seront accessibles dès vendredi.

Qui sont Juliette Gosselin et Sophia Belahmer ?

Juliette Gosselin fête cette année ses 20 ans de carrière.

En 2004, elle obtient un premier rôle majeur dans Nouvelle-France, au côté de Gérard Depardieu.

Elle a joué dans de nombreuses séries, dont Demain des hommes, Fragile et Désobéir : Le choix de Chantale Daigle.

Au cinéma, on l’a notamment vue dans Fabuleuses et 1991.

En 2015, Sophia Belahmer et Juliette Gosselin ont scénarisé et réalisé la websérie Switch & Bitch à partir d’un court métrage du même nom.

En 2023, elles ont réalisé ensemble la saison 2 de l’émission Chef Oli vire champêtre.