Le Théâtre des Fonds de Tiroirs reprend un texte phare de la dramaturgie québécoise, Vie et mort du roi boiteux, de Jean-Pierre Ronfard, durant deux fins de semaine à Montréal. Une pièce-fleuve au propos toujours actuel, même si beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis 1982.    

Jean-Pierre Ronfard. Ce seul nom déverse dans la tête une série d'images, voire d'imaginaires, de petites et de grandes histoires. Le Nouveau Théâtre expérimental, Espace libre, Shakespeare, la tragédie grecque, la création collective, les personnages plus grands que nature... L'auteur de Vie et mort du roi boiteux, qui était en faveur d'un «théâtre aussi impur que la vie», a laissé une marque indélébile sur la scène québécoise, une trace multicolore qui inspire encore aujourd'hui des jeunes comme Frédéric Dubois, directeur du Théâtre des Fonds de tiroirs (TFT).

Aux yeux du metteur en scène de la pièce-fleuve, Vie et mort du roi boiteux, la première du genre au Québec, est un jalon théâtral important, qui faisait le lien entre les diverses époques de notre dramaturgie, l'unissant du même coup aux grandes sources d'inspiration des arts de la scène. Après l'avoir montée en 2004 à Québec, il l'a transportée à Montréal où elle a été présentée pour la première fois en 27 ans - et pour six représentations seulement - à compter du 21 août.

«C'est l'un de nos plus grands textes, d'une richesse dramaturgique inouïe, d'une telle intelligence et d'une grande poésie. Malheureusement, peu de personnes ont vu la pièce parce que c'est une épopée difficile à reproduire. Elle survient à la fin des créations collectives. C'est le début de l'ère des metteurs en scène. Elle s'ancre dans l'univers de Michel Tremblay, mais récupère aussi Shakespeare et Sophocle en disant que nos rois de ruelle sont aussi importants que tous les rois du monde», explique le diplômé du Conservatoire de Québec, âgé de 32 ans.

La durée de Vie et mort du roi boiteux est passée de 15 à huit heures. La pièce est portée par 14 comédiens (comparativement à une trentaine à l'époque) et deux musiciens, mais de perte de texte, il n'y a point, enfin, une heure tout au plus, assure le metteur en scène.

«Dans les 15 heures, on incluait le repas, les entractes et un match d'impro, dit-il. La structure narrative est maintenue autour du roi Richard et de la guerre des clans Ragone et Roberge. On les voit naître et mourir. C'est on ne peut plus au goût du jour: la prise du pouvoir par quatre personnes qui dirigent le monde, la mafia qui marchande la chair humaine, le capitalisme, la surproduction. Tout le monde perd son essence imaginaire, sa naïveté. C'est le triomphe de l'individualisme au détriment de la communauté.»

Mythes et naïvetés

La saga de Ronfard incite au mythe. Soit. Les représentations se dérouleront au sein du quartier qui l'a inspiré, à côté d'Espace Libre, là où reposent les cendres de l'auteur. Jean-Pierre Ronfard aurait sans doute apprécié ce geste symbolique. «On est chez lui, s'enthousiasme Frédéric Dubois. C'est mon père spirituel. Surtout quand il parle de l'esprit de la fête, de l'événement, de la rencontre. J'y crois beaucoup.»

Le Théâtre des Fonds de Tiroirs s'est lancé dans l'aventure du roi boiteux avec une part de naïveté en 2000, précise-t-il. Avec les yeux et le coeur grands ouverts, en véritables fils et filles de Ronfard. «Dans la préface de la pièce, Ronfard dit en quelque sorte que cela doit être monté tout croche, avec rien. Comme si on disait aux gens, venez voir, on va vous faire un spectacle dans la ruelle avec des draps et des bouts de bois», raconte Dubois.

Le même esprit, quelque peu patenteux, a amené Frédéric Dubois à fonder le TFT avec des collègues du Conservatoire pendant qu'ils étaient encore aux études, en 1997. Ils sont presque tous toujours ensemble, 12 ans après. «C'est une compagnie qui appartient au groupe, fait-il. Ensemble, on crée un univers dans lequel on plonge. On n'a jamais voulu s'inscrire dans un mode de production conventionnel. C'est dur la spontanéité dans ce métier maintenant. Ça m'attriste. Si on ne veut pas de moule, on doit créer l'anarchie.»

Ronfard encore!

Les misérables

Les représentations de Montréal mettent en vedette Patrice Dubois, le frère de Frédéric, Stephan Allard, Sylvio-Manuel Arriola, Christine Beaulieu, Frédérick Bouffard, Hugues Frenette, Jonathan Gagnon, Monelle Guertin, Catherine Larochelle, Michel-Maxime Legault, Nadine Meloche, Anne-Marie Olivier, Tova Roy et Ansie St-Martin, qui jouent tous plusieurs personnages.

En plus de son travail aux Fonds de Tiroirs, Frédéric Dubois travaille auprès d'un plus vaste public, parfois. Il a mis en scène la nouvelle mouture de la comédie musicale Les misérables, qui fait fureur au Capitole de Québec depuis deux ans.

«C'est un autre monde, 36 chanteurs, 25 musiciens, avoue-t-il. On voit rarement ça au Québec. On n'était pas tenu de reprendre les mises en scène de Londres et New York. Il s'agit d'un tout nouveau spectacle. C'est plus cinématographique. J'ai eu toute liberté.»

C'est le nom que Jean-Pierre Ronfard a crié, lui aussi, durant toute sa vie artistique.