Ce n'est pas une production maison, mais une pièce montée par le Théâtre des Célestins de Lyon qui lancera la saison du Théâtre du Nouveau Monde, le 8 septembre. Blackbird met aux prises un homme et une femme meurtris par une nuit d'amour clandestine partagée des années plus tôt. L'occasion pour Maurice Bénichou, comédien français associé au théâtre de Peter Brook, de fouler une scène québécoise pour la première fois.

Elle avait 12 ans. Lui, 40. Ils ont passé une nuit ensemble. Il dit qu'il n'est pas pédophile même si elle sortait à peine de l'enfance. Et ce n'était pas un viol. Une dizaine d'années plus tard, elle le retrouve. Par hasard, puisqu'il a changé de nom et s'est refait une vie. Elle n'a pas eu cette chance. Ce ne sont pas des retrouvailles, c'est un affrontement.

Ce n'est pas la première fois que la triste histoire de Una et Ray est jouée au Québec. Il y a quelques mois, elle a été présentée chez Prospero avec Catherine-Anne Toupin et Gabriel Arcand. «On ne sort pas indemne de ce Blackbird», écrivait alors ma collègue Sylvie St-Jacques. De fait, ce face-à-face apparemment sans issue, le dramaturge écossais David Harrower l'a orchestré de manière à secouer les idées reçues.

«Quand on lit attentivement la pièce, ça parle bien sûr de pédophilie, mais ce n'est pas exactement ça. Le sujet, c'est quand même un amour étrange entre une jeune fille et un type un peu plus vieux», souligne Maurice Bénichou, qui se mesure à Léa Drucker (la nièce de Michel, le célèbre animateur de télé) dans la version française qu'accueille le TNM.

«On n'arrive pas à dire que lui c'est un salaud ou qu'elle est une jeune fille épouvantable, une petite pute. On n'arrête pas de changer d'avis, poursuit l'acteur. Je crois que c'est l'histoire de deux êtres humains qui se sont perdus, et que la société dans laquelle ils vivaient n'a rien fait pour eux.»

Blackbird soulève les questions du consentement, de l'impact d'un tel acte, mais aussi de l'effet potentiellement dévastateur du regard posé sur l'homme et la jeune fille qui l'ont accompli. Des questions délicates, presque provocatrices, dans notre société qui tend vers le conservatisme et aime bien les points de vue tranchés. Surtout sur un sujet comme celui-là.

Un sujet qui fait peur

Jouée depuis plusieurs mois en Europe francophone, Blackbird a connu un démarrage difficile. «Les gens avaient peur du sujet, ils n'ont pas voulu l'acheter tout de suite. Ce n'est pas une pièce facile, reconnaît Maurice Bénichou, alors ils ont attendu.»

S'engager dans un tel projet n'est pas non plus une mince affaire pour un acteur. Maurice Bénichou admet avoir eu des sentiments partagés à la première lecture. «J'ai hésité... et en même temps pas du tout. J'ai compris tout de suite que ce Ray n'était pas un homme tout noir. Ce n'est pas un tueur, c'est un homme à qui est arrivée cette histoire, qui était peut-être un accident. Peut-être qu'il est pédophile, mais il a quelque chose à défendre», dit le comédien.

David Harrower met en scène des personnages complexes. «Comme nous tous», dit l'acteur, qui a également eu envie de plonger dans Blackbird pour se frotter à la langue brute du dramaturge écossais. Son texte n'a rien de bavard. Il est dépouillé, hachuré, truffé de phrases commencées, mais jamais terminées. Miroir parfait d'une conversation difficile, pleine de faux-fuyants.

«C'était très vertigineux, reconnaît Maurice Bénichou. Ça m'a beaucoup perturbé. J'ai mis beaucoup de temps à l'apprendre, mais une fois que l'ingurgitation a été faite, ça peut donner une liberté très grande. Donner l'impression que c'est totalement improvisé.» Ce texte stylisé, la metteure en scène Claudia Stavisky et ses acteurs ont cherché à le rendre de la manière la plus «naturelle» possible.

Du théâtre d'acteurs

Ce genre de théâtre sans ornementation, basé sur un conflit et où toute la place est laissée à l'acteur, n'a rien d'étranger pour Maurice Bénichou. C'est l'essence du travail qu'il a effectué pendant des années auprès du réputé metteur en scène britannique Peter Brook.

«L'acteur était non seulement au centre, mais devait également trouver seul son mouvement intérieur, précise le comédien. Je suis allé à une école extrêmement difficile où la liberté donnée à l'acteur est une responsabilité qu'il a envers lui-même et envers l'ensemble.»

Le comédien français aime le théâtre quand il pose un défi. Avant de reprendre Blackbird de janvier à la mi-mars, il se frottera d'ailleurs au Philoctète de Heiner Müller, dramaturge est-allemand (citoyenneté désuète qui a son importance dans son cas) qui ne donne pas précisément dans le théâtre populaire...

«J'adore me lancer dans une aventure dont je ne peux pas voir le bout, affirme Maurice Bénichou. Si j'en connais la direction, ça va, je peux aller voir. Mais si j'en connais déjà le but, si je sais par exemple que ça va marcher, je suis moins intéressé.»

Un extrait à voir sur YouTube: http://www.youtube.com/watch? v=5O6vExQkbrI