Aux deux tiers du Festival d'Avignon, où il est artiste associé cette année, Wajdi Mouawad sait déjà que cette expérience est un tournant dans sa carrière. Le festival marque en effet la fin de l'aventure du Sang des promesses. Et il la vit dans une sorte d'état de grâce...

«Je commence à savoir que je suis né au Liban», blague Wajdi Mouawad, qui est un peu et même beaucoup «partout», dans ce Festival d'Avignon, où il est artiste associé. Il y a eu la Cour d'honneur du Palais des papes, qu'il a occupée cinq soirs durant avec les 11 heures des trois premières pièces du cycle Le sang des promesses. Et ensuite Ciels, la quatrième et ultime portion de sa tétralogie.

Quand il n'est pas au théâtre le soir, son programme de jour est rempli d'une foule de rencontres avec le public, de collaborations artistiques (avec notamment Jane Birkin et la cinéaste Christelle Lheureux), d'émissions de radio...

Aux deux tiers du festival, Wajdi Mouawad évalue cette expérience comme un lieu déterminant dans sa trajectoire d'artiste. «C'est l'endroit où j'aurai terminé mon quatuor, sur lequel j'ai travaillé pendant 12 ans. C'est un moment où quelque chose finit. Ça naît et ça n'est plus», confie l'homme de théâtre, qui reçoit La Presse sur une terrasse privée, bien à l'abri de la sollicitation de ses fans européens qui lui portent un culte.

La fin d'un cycle

Wajdi l'avait évoqué pendant la rencontre de presse qu'il avait tenue lors de son entrée en poste comme directeur artistique du Centre national des arts d'Ottawa: après la tétralogie, il pourrait ne plus faire de théâtre. Peut-être ira-t-il vers la poésie, mais certainement vers la peinture, forme d'expression qu'il a exploitée avec une certaine virtuosité dans son solo Seuls.

Une chose est certaine, c'est que sa désertion de la scène chagrinera bien des jeunes Français.

Quand je soulève le fait que son statut ici, en Europe, a quelque chose de la rock star, il se montre amusé mais s'en trouve aussi ravi.

«C'est extraordinaire l'écoute que nous avons chez les jeunes ici. Ils lisent beaucoup de théâtre à l'école, et je crois que, dans les cours de français, ils lisent Littoral et Incendies. Ils tombent sur des personnages qui ont leur âge, qui ne sont pas face à la drogue ou à des questions sociales, mais plutôt à des considérations métaphysiques. Ils se sentent pris au sérieux à travers ces histoires qui les font rire et pleurer. Ils sentent bien que c'est écrit par un ado!» plaide Wajdi, qui assure que la meilleure façon de lui faire plaisir, c'est de l'enfermer dans une pièce avec des ados. «Je les aime profondément. Je pense qu'ils le sentent.»

Beaucoup d'énergie

Chose certaine, l'affection des jeunes pour Wajdi s'est manifestée chaleureusement pendant les 11 heures du Sang des promesses. «Ça nous a donné beaucoup d'énergie de sentir cette génération qui arrive», reconnaît Mouawad, qui n'était pas du tout certain que le public allait le suivre pendant cette nuit blanche. «Avec l'équipe, on a fait des paris. Les plus pessimistes disaient que seulement 300 personnes resteraient jusqu'à la fin, les plus optimistes pariaient sur la moitié de la salle. Finalement, 80 % du public a traversé chaque fois la nuit.»

Tout comme les acteurs qui ont joué entre ces murs mythiques qui ont aussi accueilli les Gérard Philipe et Patrice Chéreau, Wajdi Mouawad profite de l'état de grâce qui suit une telle expérience. «J'ai dit aux acteurs que pendant ce festival, c'était leur devoir de profiter de chaque millimètre de ce temps, qu'une telle expérience ne reviendra jamais. Et aussi, que nous n'étions pas là pour prouver que ces pièces sont bonnes, mais bien pour célébrer tout le travail fait pendant 12 ans.»

Quatrième et ultime volet de la tétralogie amorcée avec Littoral en 1997, la pièce Ciels a aussi vu le jour à Avignon. On entre ici dans un propos nouveau chez Wajdi Mouawad. «Avec toutes mes prises de parole, je me suis trouvé à réfléchir sur la relation entre l'État et l'artiste. De tous les temps, l'État a essayé de contrôler deux choses: les artistes et les scientifiques. Ce sont les deux groupes qui peuvent avoir une importance considérable sur les citoyens.»

Après Avignon, il reprendra la route avec les pièces du Sang des promesses. Mais Wajdi aspire à plus de poésie, à moins de mots. Il cherchera «en tout cas, du silence».