« Il n’y a pas un film, pas un roman ni une exposition qui peut contenir toutes les nuances d’une vie. L’humanité n’est pas domptable », lance d’une même voix le talentueux couple d’artistes multidisciplinaires, en entrevue avec La Presse.

Après un retard de plusieurs mois à cause de la pandémie, Pas perdus | documentaires scéniques, la nouvelle création d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier, sera enfin présentée au Théâtre d’Aujourd’hui la semaine prochaine. Après Vrais mondes en 2014, puis Pôle Sud en 2016, le couple propose un troisième spectacle avec « des gens ordinaires qui racontent des histoires extraordinaires ». Anaïs fait aussi partie de la distribution, tandis qu’Émile signe la mise en scène.

Pas perdus est une proposition originale qui découle de leur passion commune pour le cinéma-vérité et le théâtre documentaire, ainsi que pour l’art du portrait et, bien sûr, pour le spectacle vivant. Le dispositif de leurs documentaires scéniques (au pluriel) est à la fois simple et complexe. Il se nourrit de recherches et d’entrevues menées à la grandeur du Québec par l’autrice de La femme qui fuit.

Contrairement aux deux pièces précédentes, il n’y a pas un fil conducteur qui relie d’emblée les huit personnages de Pas perdus. Parmi les protagonistes sur scène, aucun n’est acteur. « Ce sont simplement des gens, habitant leur propre vie, accomplissant des gestes familiers, entourés d’objets qui leur appartiennent, explique le couple. Or, plus le spectacle progresse, plus le public va découvrir des liens, des échos entre leurs histoires. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Émile Proulx-Cloutier et Anaïs Barbeau-Lavalette

Avec cette pièce, on explore davantage le territoire intérieur des personnages, pour aborder des thèmes comme la mémoire, la transmission.

Émile Proulx-Cloutier et Anaïs Barbeau-Lavalette

À micro ouvert

Pour trouver ces histoires à la fois dramatiques et merveilleuses, Anaïs Barbeau-Lavalette a sillonné des milliers de kilomètres de routes, aux quatre coins du Québec. Elle a rencontré des gens avec des parcours et des bagages de vie fort différents. Elle a enregistré plus de 100 heures d’entrevues. La réalisatrice n’a pas voulu filmer les gens, car elle trouvait la caméra trop intrusive, voire intimidante. « La caméra est un œil qui te scrute ; le micro est vite oublié », dit-elle, en précisant qu’il a fallu trouver « le fragile équilibre entre l’intrusion et la pudeur ». Pour ne pas tomber dans le voyeurisme.

Après sa récolte, l’intervieweuse a confié le matériel audio à son conjoint. Durant plusieurs semaines, ce dernier a fait un énorme travail de montage sonore pour retenir une heure quarante-cinq de témoignages qui forment la trame narrative de la pièce. Le metteur en scène a retenu les récits de gens qui ont une vie extraordinaire, mais aussi une façon de se raconter qui est très théâtrale.

Le couple croit aussi que la voix humaine, sans le poids de l’image, les limites du cadre sur les écrans, laisse plus de liberté aux interviewés. Et davantage de place à l’imaginaire du spectateur. « Lorsque les gens sont en confiance, on peut alors aller puiser au cœur de leur âme. Ça devient un dialogue. Un éclat de rire peut surgir au milieu du tragique. Mais ce processus ne peut être fait que dans la lenteur. C’est des années de travail ! », résument-ils.

« Vous savez, la vie des gens n’est jamais banale, croit Anaïs. Il y a beaucoup plus d’histoires extraordinaires que l’on croit. Il suffit de prendre le temps de s’arrêter pour parler et écouter les gens se raconter. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Émile Proulx-Cloutier et Anaïs Barbeau-Lavalette ont dû trouver « le fragile équilibre entre l’intrusion et la pudeur » pour réaliser Pas perdus.

Abattre les cloisons

Émile Proulx-Cloutier ajoute que le problème de notre société, c’est qu’on veut enfermer tout le monde dans de petites cases. « C’est encore pire après deux ans de pandémie, dit-il. Lorsqu’on va à la rencontre de l’autre, qu’on sort de son cercle rapproché, ça nous oblige à abattre les cloisons. »

À l’image d’une salle des pas perdus, nom donné à ces grands halls d’édifices, dans des palais de justice ou des gares, où des solitudes s’entrecroisent dans l’attente d’un départ, d’une sentence. « Au carrefour des destinées, cet entrelacement de petits documentaires vivants interrogera notre rapport intime et collectif à la mémoire, au langage, au deuil », souhaite le couple.

Du 8 mars au 2 avril au Théâtre d’Aujourd’hui

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