La comédienne Eve Landry incarnera dès le 15 mars le personnage principal de la pièce Un ennemi du peuple, au TNM, puis au Trident, à Québec. Une première dans sa riche carrière. Rencontre avec une impatiente assumée, qui ne demande qu’à explorer de nouveaux sentiers.

Ils sont tous là : Robert Gravel, Andrée Lachapelle, Sylvie Drapeau, Pierre Lebeau... Du haut de leurs affiches placardées sur les murs, les visages maquillés de ces monstres sacrés veillent sur le Café du Nouveau Monde, où Eve Landry vient de se poser, bien emmitouflée dans un lainage écru, mais pieds nus dans ses sandales. Bientôt ce sera à la comédienne de voir « sa grosse face » (dixit la principale intéressée) s’ajouter au panthéon des artistes qui ont tenu des premiers rôles dans des productions du TNM.

« Ça me touche beaucoup d’y penser. J’ai soupé au Café du TNM avec ma mère il y a quelques années. Je jouais un rôle secondaire dans la pièce Sainte Carmen de la Main. J’avais dit à ma mère que si un jour je me retrouvais tête d’affiche au TNM, elle pourrait se dire que sa fille est bien établie à Montréal et qu’elle a du fun ! C’est certain que c’est impressionnant quand je pense à tous les grands noms qui sont passés par ici... »

Impressionnant, certes, mais rien ne sera jamais plus cher au cœur de cette fille du Bas-Saint-Laurent que les honneurs décernés par les habitants de son village natal, Saint-Pascal-de-Kamouraska. « J’ai un bout de trottoir avec mon nom et l’empreinte de ma main. Ce geste m’a vraiment touchée, car c’est là que sont nés mes grands rêves d’enfant de 8 ans. »

Ces rêves sont nés devant le petit écran, à regarder des artistes se métamorphoser pour des rôles avant de parader en belle robe dans des galas... Ils l’ont portée jusqu’au Conservatoire de Montréal, où elle a été acceptée dès sa première audition. Et d’où elle est sortie pleine d’espoirs et de doutes en 2007.

Dépasser les rôles de maganées

En septembre 2012, date de la diffusion du premier épisode d’Unité 9, Eve Landry a déboulé dans la vie des téléspectateurs comme un ouragan. On a appris à la détester – avant de l’aimer d’amour – dans le rôle de la détenue Jeanne Biron. Sa Carolanne nous a émus aux larmes dans M’entends-tu ? et son personnage de la lieutenante Mélanie Charron apporte depuis octobre dernier un peu de rigueur au poste du District 31.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Eve Landry dans Doute raisonnable

Elle est aussi une intrigante, richissime et ravissante médecin dans la série policière radio-canadienne Doute raisonnable. Ce rôle lui a permis d’enfin troquer les pantalons de jogging de Jeanne et de Carolanne contre les talons hauts et les habits griffés. « Je pense que c’est la première fois que je passais au CCM [costume, coiffure, maquillage] pour autre chose que des tatous ! », lance l’actrice de 36 ans.

« J’ai beaucoup joué des maganées, des filles qui ont peu d’éducation. Depuis que j’ai quitté Jeanne Biron, j’ai envie de jouer des personnages différents, d’aller ailleurs, en tant qu’actrice. Je veux puiser dans la femme forte et la maman qui est en moi. Ce sont des aspects que je n’ai pas encore pu explorer à la télévision. C’est le fun d’aller dans des zones moins torturées, de jouer des femmes plus confiantes. »

Des femmes confiantes comme elle ? « J’ai confiance en moi, oui, mais je n’ai pas le sens de la répartie de mes personnages. J’ai une grande gueule, mais pas d’argumentaire ! »

Un premier grand rôle sur les planches

Au théâtre, elle aura donc l’occasion de défendre un premier rôle pour la première fois de sa carrière dans Un ennemi du peuple, du dramaturge norvégien Henrik Ibsen. « Lorsqu’on m’a proposé le rôle de la Dre Katrine Stockmann, je n’ai pas hésité. C’est ensuite qu’est venu le vertige ! Je me suis demandé, et je me demande encore, comment je vais faire pour y arriver ! Le théâtre, c’est un marathon. Je booste mon système immunitaire depuis septembre pour être certaine d’être en forme !

« Ce personnage a une telle exubérance dans l’intimité ! Beaucoup plus que moi. Elle est tellement convaincue d’avoir raison. Moi, je doute beaucoup plus. J’ai compris qu’on n’arrivera jamais à faire changer d’idée quelqu’un. Je garde mon énergie plutôt que me fâcher et vouloir éduquer l’automobiliste qui ne fait pas son stop ! Katrine, elle, ne lâche jamais le morceau. Au risque de se perdre... »

Une autorité naturelle

Même si c’est la première fois que les deux femmes travaillent ensemble, la metteure en scène Édith Patenaude ne doute pas qu’Eve Landry va trouver la vérité de ce personnage très costaud.

« Eve a toujours été dans mon entourage. On a même été brièvement colocs à Québec quand elle est venue jouer une pièce au Trident. Pour jouer le rôle de Katrine, je cherchais une comédienne forte, mais qui possède aussi un côté très attachant. Eve possède tout cela. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Édith Patenaude, metteure en scène d’Un ennemi du peuple

Elle est chaleureuse sans être racoleuse. C’est une fille très cool, qui possède une forte autorité naturelle.

Édith Patenaude, metteure en scène, à propos d’Eve Landry

Dans la pièce d’Ibsen, publiée en 1882, le DStockmann est un homme. Convaincu d’aider les villageois en leur apprenant que l’eau de la station thermale qui les fait vivre est contaminée, Thomas Stockmann se voit plutôt mis au ban de la société par ses concitoyens, les médias et les pouvoirs politiques en place. Édith Patenaude a décidé de féminiser ce personnage. « Si on ne remet pas en question le genre dans le théâtre de répertoire, il y aura toujours un déséquilibre entre les hommes et les femmes. Ces textes ont été écrits à l’époque par des hommes et pour des hommes... Il ne faut plus tenir pour acquis le genre des rôles, pas plus que l’origine des acteurs qui les interprètent. »

« Or, je n’ai pas choisi Eve pour son énergie androgyne, mais bien parce qu’elle est attirante socialement. On a envie de l’impressionner ! Elle est aussi capable d’articuler un discours fort pour le rendre lisible, et tout ça, avec émotion. C’est une actrice formidable, très travaillante. »

Un ennemi du peuple, malgré son sujet dramatique, n’est pas une pièce dénuée d’humour, rappelle Édith Patenaude. Ici, l’humour ne repose pas sur les épaules du personnage d’Eve Landry, mais, selon la metteure en scène, l’interprète possède tout ce qu’il faut, y compris un excellent sens du timing, pour s’illustrer dans un registre plus comique. « Eve peut être très drôle, même si elle dégage quelque chose de sérieux. Elle est très capable d’être nounoune ! »

Drôle malgré elle

Eve Landry, une comique ? L’artiste en doute elle-même, malgré ses années d’improvisatrice étoile, à la Ligue nationale d'improvisation (LNI) notamment. « Je ne me trouve pas drôle. Je ne suis d’ailleurs jamais jalouse des rôles comiques à la télé, alors que j’envie tous les rôles dramatiques ! »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Florence Longpré et Eve Landry sur le plateau de tournage de M’entends-tu ?

« C’est faux, lance son amie de longue date Florence Longpré. Eve est très drôle, peut-être malgré elle ! Je n’aurais aucune hésitation à lui confier un rôle comique. » Chose certaine, Florence Longpré n’a pas hésité à confier à sa grande amie le rôle extrêmement touchant de Carolanne dans sa série M’entends-tu ?, un personnage qu’elle a créé expressément pour elle. « Je la savais très talentueuse ; je savais aussi la rigueur qu’elle allait mettre pour défendre ce personnage, même s’il avait peu de répliques. Avec Carolanne, tout devait passer par le visage et le non-dit. »

Aujourd’hui, quand je regarde le chemin qu’Eve a parcouru, je suis tellement fière d’elle. Et maudit qu’elle est belle !

Florence Longpré

Belle... et impatiente. Florence Longpré le confirme : le tatouage que porte Eve Landry à l’avant-bras – « N’oublie pas que tu es impatiente » – est très juste. « C’est vrai qu’elle est impatiente, mais moi, ça me fait rire ! »

Eve Landry avoue que ce tatouage l’aide à fixer ses limites, à ne pas se demander l’impossible. « Mes enfants de 5 et 4 ans me le demandent d’eux-mêmes : “Maman, est-ce qu’on a dépassé tes limites ?” Mais cette impatience me sert aussi dans mon travail. Je dévore les textes quand je les reçois, même la nuit ! »

Florence Longpré ajoute en riant : « Eve a un autre tatouage dont elle se vante moins : un tatouage très laid des masques de Jean qui rit et Jean qui pleure. Vous pouvez l’écrire ! »

C’est fait.

Un ennemi du peuple, du 15 mars au 9 avril au TNM et du 19 avril au 14 mai au Trident

Consultez le site du TNM Consultez le site du Trident

Eve Landry à la barre de Quelles familles

PHOTO FOURNIE PAR UNIS TV

Eve Landry est allée à la rencontre de familles atypiques pour la série documentaire Quelles familles.

Autre première : Eve Landry animera à partir du 7 avril l’émission documentaire Quelles familles, sur Unis TV. « J’ai voyagé au Québec et au Canada pour rencontrer 13 familles atypiques qui ont choisi de vivre selon leurs principes, leurs valeurs : une famille qui voyage à vélo depuis 11 ans, un père seul à Anticosti, une famille zéro déchet... Chaque rencontre a suscité des réflexions à la maison par rapport aux choix de vie qu’on a faits, mon chum et moi. Quand j’ai reçu l’offre, la pandémie durait depuis un an. Je n’ai pas pu résister. Même mon chum m’a conseillé de partir en disant que ça ferait du bien à tout le monde ! J’avais vraiment besoin de sortir et de rencontrer des gens ! Je pense que cette série a fait de moi une meilleure maman. »