Il se passe de belles choses ces jours-ci au Théâtre La Licorne. Dans Pipeline, des voix qu’on entend rarement s’élèvent pour raconter l’histoire poignante d’une mère qui voit la vie de son fils prendre une inquiétante tangente.

Produite par la compagnie montréalaise Black Theatre Worshop (BTW), qui œuvre depuis 50 ans pour mettre de l’avant les œuvres issues de la communauté noire, la pièce Pipeline tient de l’évènement. Pour une rare fois, le travail du BTW est présenté dans un théâtre institutionnalisé francophone. L’avancée est à célébrer.

Il faut aussi se réjouir de la découverte d’une parole forte : celle de l’autrice américaine Dominique Morisseau, traduite ici avec brio par Mishka Lavigne. Il y a dans le répertoire des communautés noires des pépites qui peinent à se rendre jusqu’à un plus large public. Pipeline en fait partie.

La pièce raconte l’histoire de Nya, mère célibataire (interprétée avec un formidable aplomb par la grande révélation de ce spectacle, la Montréalaise Jenny Brizard), qui enseigne dans une école secondaire. Un jour, son fils adolescent Omari (émouvant Grégory Yves) est impliqué dans un évènement et risque l’expulsion du pensionnat privé où il étudie.

Un gouffre s’ouvre alors sous les pieds de la mère dépassée. Elle craint le pire pour son fils, consciente que pour les jeunes hommes noirs, le décrochage peut provoquer une spirale infernale qui mène tout droit vers le système carcéral. Le pipeline dont il est question dans le titre est celui-ci, ce canal qui va tout droit des bancs d’école aux cellules de prison. Pour sauver Omari et calmer la rage de ce dernier, Nya sera prête à tout…

L’émouvant texte de Dominique Morrisseau est en général bien servi par la mise en scène d’ahdri zhina mandiela, et ce, malgré quelques maladresses (dont des transitions bruyantes et pleines de rage qui irritent plus qu’elles n’ajoutent au propos). On se perd toutefois dans les nombreuses symboliques sibyllines qui émaillent la mise en scène : code-barres sur les personnages, gants qui se passent d’interprète en interprète…

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR LA LICORNE

Des projections vidéo viennent ajouter un souffle puissant à la mise en scène.

La mise en scène, qui tire profit de superbes projections vidéo, offre toutefois à chacun des six interprètes un moment sous les projecteurs pour faire étalage de son talent. Certains d’entre eux arrivent à nous tirer les larmes ou à nous faire rire (Anie Pascale est particulièrement féroce dans le rôle d’une enseignante pugnace qui jure à outrance) ; d’autres s’en sortent moins bien.

Le soir de la première, on sentait quelques acteurs nerveux : les gestes étaient télégraphiés et les répliques, dites sans relief ni émotion. Pire, certains passages étaient presque inaudibles, les mots étant trop mâchouillés. Rien qui ne peut se régler, cela étant dit.

Et rien pour contaminer l’émotion que charrie ce spectacle au propos universel. Les mères, peu importe la couleur de leur peau ou leurs origines, connaissent l’inquiétude qui prend aux tripes lorsqu’elles voient leurs enfants affronter le monde. Et c’est d’autant plus vrai lorsque ce monde est hostile à tout ce que notre enfant peut représenter.

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Pipeline

Pipeline

De Dominique Morisseau, mise en scène d’ahdri zhina mandiela. Avec Jenny Brizard, Grégory Yves et Gloria Mampuya.

Au Théâtre La Licorne., Jusqu’au 8 mai.

6/10