La nuit, tous les chats sont gris, dit l’adage. C’est aussi la nuit que les fantasmes quittent les replis de l’inconscient pour éclater à la faveur de l’obscurité. Ces heures troubles où le soleil n’est plus servent d’écrin à la plus récente pièce d’Evelyne de la Chenelière, intitulée Le traitement de la nuit.

Dans cette courte œuvre d’une heure et des poussières, la dramaturge s’amuse à brouiller les pistes entre le rêve et la réalité, entre la clarté et la noirceur. Surtout, elle fractionne son texte en plusieurs facettes qui deviennent autant de versions de son récit, laissant le public décider où se situe la vérité.

L’intrigue n’est pas simple à résumer. En effet, les personnages du père, de la mère, de la fille et du jardinier se présentent sous une lumière sans cesse différente, se transformant au gré des variations imaginées par l’autrice.

Certes, la mère (formidable Anne-Marie Cadieux) reste complètement névrosée et la fille (Marie-Pier Labrecque, très solide) n’arrive jamais à endiguer la sourde colère qui l’habite. À leurs côtés, le père insomniaque (Henri Chassé) continue de faire comme si tout allait pour le mieux. Quant au mystérieux jardinier (Lyndz Dantiste), il demeure l’écran sur lequel les autres projettent leurs désirs d’affranchissement ou de rédemption.

Tout au long d’une nuit qui va s’amorcer dans la plus grande des banalités — un souper partagé —, ces quatre protagonistes vont échafauder des plans de meurtre, s’inquiéter de la disparition de l’un, feindre l’indifférence devant la fugue de l’autre, s’aimer, se déchirer.

Pour plaire à des invités qu’on ne voit jamais, les parents seront en perpétuelle représentation, tentant de sauver la mise face à leur fille toujours prête à dégoupiller une quelconque grenade.

Toutefois, le destin (voire le passé) de chacun restera flou, comme si l’obscurité permettait tous les possibles. Et tant pis pour le spectateur en quête d’un fil rouge auquel se raccrocher…

PHOTO YANICK MACDONALD, FOURNIE PAR ESPACE GO

Anne-Marie Cadieux est irrésistible dans le rôle de la mère névrosée qui veut feindre l’indifférence devant les fugues répétées de sa fille.

Dans ce texte épars qui peut déstabiliser au premier abord, la langue est d’une précision qui force l’admiration. La dramaturge use avec brio d’un humour grinçant teinté d’une absurdité parfaitement dosée (et qui n’est pas sans rappeler un certain Ionesco).

La musique omniprésente

À la mise en scène, Denis Marleau a choisi de donner au texte toute la place qui lui revient en réduisant les effets scéniques au strict minimum. Une table, six chaises. Des déplacements chorégraphiés avec soin. Le tout est magnifié par les projections en arrière-scène de sa complice Stéphanie Jasmin, lesquelles se veulent tantôt apaisantes, tantôt terriblement anxiogènes.

La musique est aussi omniprésente, les notes venant s’ajouter à la musicalité des mots. La pièce s’ouvre d’ailleurs par la très belle Sonate no 14 de Beethoven, un choix qui peut s’avérer trompeur. Ce morceau pourrait en effet laisser croire que Le traitement de la nuit baigne dans un certain classicisme. Or, c’est tout le contraire.

Ce texte en constante modulation, porté avec aplomb par des interprètes fort bien dirigés, est sans conteste déroutant par moments, mais il nous garde malgré tout collés à nos bancs. Sa forme éclatée, son humour, la beauté de ses mots : la pièce d’Evelyne de la Chenelière reste sans conteste un objet théâtral fascinant.

Le traitement de la nuit

Le traitement de la nuit

Texte d’Evelyne de la Chenelière, mise en scène de Denis Marleau. Avec Anne-Marie-Cadieux, Henri Chassé, Marie-Pier Labrecque et Lyndz Dantiste.

À Espace Go, Jusqu’au 2 avril

7,5/10