La nouvelle pièce de Carole Fréchette, Ismène, a été créée, en primeur mondiale, jeudi au Printemps des comédiens, un prestigieux festival à Montpellier. La Presse a joint l’auteure en France, au lendemain de la grande première.

Depuis 25 ans, la Québécoise Carole Fréchette est souvent invitée en Europe pour aller voir les productions de ses pièces. Mais l’auteure est particulièrement fière de l’invitation du Printemps des comédiens cette année. Moins connu que le Festival d’Avignon, le Printemps des comédiens est un rendez-vous théâtral d’envergure. Carole Fréchette fait partie de sa programmation, aux côtés d’artistes-phares de la scène internationale, comme Ivo van Hove, Robert Wilson, Julien Gosselin et Georges Lavaudant.

Dans Ismène, l’auteure revisite un mythe de la tragédie grecque vieux de 2500 ans : celui d’Antigone, vu à travers le destin de sa sœur, Ismène. Un personnage secondaire de la pièce de Sophocle. « Sa position n’est pas confortable ni glorieuse, aux côtés d’Antigone, une héroïne intemporelle. C’est la première fois que j’écris une œuvre à partir d’une figure antique », explique Fréchette.

Je me suis servie de la tragédie comme document historique pour entrer dans la tête d’Ismène.

Carole Fréchette

Or, elle s’identifie à Ismène justement parce que ce personnage n’est pas une héroïne dans l’histoire du théâtre. « Bien sûr, une part de moi reconnaît le courage d’Antigone, dit-elle, mais une autre part se retrouve dans l’hésitation d’Ismène, dans sa volonté d’éviter la confrontation pour préserver la vie. »

PHOTO MARIE CLAUZADE, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DE LA REMISE

L’interprète d’Ismène, Mama Prassinos, dans la production du Théâtre de la Remise, mise en scène par Marion Coutarel, à Montpellier

L’auteure a aussi été choquée par l’intransigeance d’Antigone. « Elle ne demande jamais à Ismène ce qu’elle pense de l’acte radical qu’elle va accomplir… » Cet acte, c’est de braver l’interdiction du roi Créon afin de creuser une sépulture à son frère banni du royaume, Polynice. « Antigone dit à sa sœur : “Ou bien tu es dans mon camp, ou bien tu es lâche” », illustre Carole Fréchette.

— Ça ressemble assez au discours social ambiant ?

« En effet, on vit dans un monde hyper polarisé. Je trouve important de faire entendre la voix de la nuance, de la conciliation. J’ai voulu redonner sa dignité à la parole d’Ismène », répond la dramaturge.

Guerre et paix

Si Ismène refuse de choisir entre ses deux frères ennemis, c’est parce qu’elle veut la paix. « Mais on ne parle pas beaucoup de pacifisme de nos jours. Ce n’est plus à la mode », déplore l’auteure. Or, son personnage souhaite briser le cycle de la violence et « la chaîne des morts ». Deux moteurs de la tragédie grecque.

J’ai cherché, comme pour d’autres de mes pièces, à donner une voix à un personnage effacé. Une femme seule qui se demande où tracer la ligne entre le compromis et la lâcheté.

Carole Fréchette

« Les actes courageux et héroïques sont parfois motivés par la cruauté. Alors que dans le doute des antihéros, il y a beaucoup d’humanité », pense Fréchette.

Il n’y a pas encore de production prévue de cette pièce au Québec. Dommage, car ce très beau monologue dramatique, chaudement applaudi par le public de Montpellier, devrait être aussi présenté au Québec. Peut-être n’est-il pas assez polarisant pour notre époque ?

Ismène, dans la mise en scène de Marion Coutarel, avec Mama Prassinos, est à l’affiche jusqu’au 10 juin, au Bassin du Domaine d’O, à Montpellier.

Consultez le site du festival Printemps des comédiens

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Carole Fréchette

Qui est Carole Fréchette ?

Carole Fréchette a étudié en jeu à l’École nationale de théâtre du Canada, avant de se réorienter vers l’écriture dramatique au milieu des années 1980. Son répertoire compte une vingtaine de pièces parmi lesquelles Les quatre morts de Marie, Les sept jours de Simon Labrosse, Le collier d’Hélène, Jean et Béatrice, La peau d’Élisa, Je pense à Yu. Son théâtre, traduit en une vingtaine de langues, est joué à travers le monde.