L’obsédé qui inonde la ligne de S. O. S. Détresse Amitié de grossièretés, le tricot immonde de Thérèse, les infects doubichous « roulés sous les aisselles »… Quiconque a vu ce classique du théâtre et du cinéma français des années 80 a gardé des souvenirs impérissables du père Noël est une ordure.

Même si la sauce dans laquelle elle est apprêtée est par moment un peu lourde à digérer, l’adaptation québécoise présentée cet été sur la scène de la Maison des arts Desjardins de Drummondville a de quoi rassasier les connaisseurs, mais aussi ceux qui se goûtent pour la première fois à cette comédie absurde et déjantée.

Plantons le décor. Le soir de Noël 1984, les bénévoles de S. O. S. Détresse Amitié veillent au grain pour répondre aux appels téléphoniques des déprimés, des esseulés et des suicidaires de tout acabit. Mais ce qui s’annonçait comme une soirée paisible tourne vite au cauchemar pour Pierre (Jean-Michel Anctil) et sa collègue Thérèse (formidable Josée Deschênes).

Interprétée avec une folie qui ne décélère pas par une Brigitte Lafleur très en forme (et méconnaissable sous son maquillage), Josette est la première à venir troubler cette quiétude lorsqu’elle débarque dans le local avec son hygiène douteuse, son chuintement sévère et ses problèmes de couple miteux.

PHOTO EMILIE LAPOINTE FOURNIE PAR MONARQUE PRODUCTIONS

Brigitte Lafleur (à gauche) et Pierre-François Legendre portent avec beaucoup d’aplomb leur partition.

Suivra Katia, travesti en mal d’amour (Pierre-François Legendre), Monsieur Preskovitch, le voisin bulgare qui insiste pour faire goûter ses pâtisseries à la ronde (Claude Prégent, délicieux !) et, bien sûr, un père Noël à donner des cauchemars aux enfants (Mario Jean).

Même si certains dialogues adaptés en québécois sont lourds de sous-entendus pas très subtils et que le jeu de certains verse dans le vaudeville, les interprètes portent cette partition sportive avec aplomb. À la mise en scène, André Robitaille a choisi de souligner les gags à plus gros traits que ce que faisaient jadis les Thierry Lhermitte, Christian Clavier, Anne-Marie Chazel et autres membres de la troupe du Splendid (qui ont écrit ce bijou.)

Un choix qui se défend. On perd certes un peu en subtilité, mais personne dans la salle n’est largué par l’humour décalé de l’œuvre originale.

Une production vitaminée

Dans une ambiance festive plantée dès le lever du rideau – avec un petit segment dansé qui rappelle que tout se passe un soir de réveillon –, la pièce se déploie à grande vitesse, entre répliques cultes et intermèdes musicaux. D’ailleurs, le metteur en scène s’est fait plaisir en glissant ici et là quelques airs québécois qui inondaient les radios en 1984, ajoutant au bonheur des spectateurs (qui ne se gênent pas pour entonner en chœur J’t’aime comme un fou de Charlebois ou pour taper des mains sur une incompréhensible chanson bulgare).

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Mario Jean incarne un père Noël qui a tout ce qu’il faut pour donner des cauchemars aux petits enfants !

Une des plus belles trouvailles de cette mise en scène vitaminée est l’utilisation d’une multi-instrumentiste (Stéphanie Raymond) qui vient donner un coup de oumpf à l’ensemble en jouant tantôt de la trompette, tantôt de la clochette. Chacune de ses apparitions est signe de l’arrivée d’un moment bonbon !

Autre coup de génie : demander à l’inimitable Guy Nadon d’interpréter l’obsédé sexuel du téléphone. On ne le voit jamais, mais son interprétation de la chanson grivoise La p’tite grenouille (entre autres) est un pur délice !

Soulignons que dans son message d’ouverture préenregistré, André Robitaille prend le temps de remettre cette pièce en contexte en rappelant que depuis 1984, la société a évolué. Ça peut sembler superflu, mais dans le contexte actuel, c’était sans doute une bonne idée. Une pièce où l’on rit du suicide, des transsexuels et des immigrants pourrait choquer certains esprits. Mais cette production bien mitonnée réussit plutôt à provoquer des rires francs.

C’est sans doute ça la magie qui a rendu intemporel cet ordure de père Noël…

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Le père Noël est une ordure

Le père Noël est une ordure

Mise en scène d’André Robitaille, avec Jean-Michel Anctil, Josée Deschênes et Brigitte Lafleur, notamment.

Maison des arts Desjardins de Drummondville , Jusqu’au 20 août (tournée québécoise à venir)

7,5/10