Le théâtre québécois a la bougeotte ! Longtemps en circuit fermé, la création théâtrale voyage de plus en plus entre Montréal et Québec. Et vice versa. Coproductions, reprises, spectacles en accueil avec des interprètes et des concepteurs équitablement répartis entre les deux villes. Est-ce la fin de la légendaire rivalité Québec-Montréal ? Analyse du phénomène.

Est-ce le début d’un temps nouveau ? Celui de la migration et la décentralisation du théâtre québécois ? À en juger par les nombreux partenariats, codiffusions et coproductions Québec-Montréal, dans les programmations de la prochaine saison (2023-2024), il faut croire que oui. Le milieu, en marge d’un changement de garde des directions artistiques, semble enclin à faire rayonner les spectacles plus longtemps dans les deux villes.

Bien sûr, les échanges entre les théâtres ne datent pas d’hier. Or, ceux-ci ont souvent causé des frictions, des frustrations, principalement pour les artistes en dehors de la métropole. « Au Trident, dans les années 1980, on donnait tous les premiers rôles aux têtes d’affiche de Montréal. Les acteurs de Québec se contentaient de jouer les poignées de porte ! », illustre Anne-Marie Olivier, ex-directrice du Trident, dans le documentaire sur les 50 ans de la compagnie.

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Anne-Marie Olivier, ex-directrice du Trident

Elle nous rappelle qu’en réaction à l’invasion des vedettes de la télévision dans la Vieille Capitale, conjuguée à l’exode des comédiens vers Montréal, Roland Lepage avait formé, en 1989, la troupe d’acteurs permanents du Trident. Pour faire travailler au théâtre de jeunes comédiens, comme Benoît Gouin, Guylaine Tremblay, Jacques Leblanc, Marie-Ginette Guay, Marie-Thérèse Fortin…

Autres temps, autres mœurs

En 2023, plus personne n’oserait ignorer les jeunes interprètes de Québec. Dans une coproduction, la parité entre les villes fait désormais loi. « Nos écosystèmes sont plus solides que dans les années 1980. On n’a plus ce préjugé négatif et protectionniste contre Montréal », explique Maxime Robin, qui travaille dans les deux villes et négocie ses contrats dans le train Québec-Montréal. Ce dernier répète d’ailleurs Hosanna ou La Shéhérazade des pauvres, qui ouvre la saison du Trident, avec une icône des nuits montréalaises : Luc Provost, mieux connu sous son nom de drag, Mado Lamotte.

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Le comédien, metteur en scène et réalisateur Maxime Robin

Formé au Conservatoire de Québec, Maxime Robin fait partie d’une génération d’artistes de la capitale – avec les Alexandre Fecteau, Véronique Côté, Marie-Hélène Gendreau – qui travaillent sur plusieurs plateaux, sans renier la vie théâtrale québécoise.

« Cette nouvelle génération s’affirme et affiche une réelle ouverture, remarque Marie-Josée Bastien, qui enseigne au Conservatoire de Québec. Mais moi, la rivalité Québec-Montréal, je ne l’ai jamais sentie… parce que je n’ai jamais voulu la sentir. J’ai choisi de faire du théâtre parce que c’est un métier nomade », dit la comédienne et metteure en scène.

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La metteure en scène Marie-Josée Bastien a créé Salle de nouvelles au Trident en 2021 et présentera la pièce chez Duceppe en septembre.

D’ailleurs, à l’automne, la directrice du Théâtre Niveau Parking déménage temporairement à Montréal pour diriger Salle de nouvelles chez Duceppe, puis Projet Polytechnique au TNM. Marie-Josée Bastien a l’habitude de faire des allers-retours Québec-Montréal : « La 20, c’est mon bureau, dit-elle. J’apprends mes textes dans la voiture. Je pense à mes mises en scène en conduisant. Et je donne des lifts à des collaborateurs pour discuter de projets en cours. »

Fini l’esprit de clocher !

En entrevue avec La Presse lors du lancement du Diamant, en 2019, Robert Lepage affirmait aussi que « le milieu théâtral au Québec devait cesser d’avoir un esprit de clocher ». « Il faut favoriser la circulation du théâtre à travers la province. Au Canada anglais, un acteur de Vancouver joue fréquemment à Toronto et à travers le pays. Alors qu’au Québec, les interprètes travaillent surtout dans leur ville de résidence… Ou déménagent à Montréal. »

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Le célèbre metteur en scène natif de la Capitale-Nationale Robert Lepage est un habitué des coproductions Québec-Montréal.

Le nouveau directeur artistique du Trident, Olivier Arteau, incarne cette « nouvelle culture théâtrale », curieuse, inclusive et ouverte sur la création de partout au Québec. « Pour moi, l’idée d’une culture québécoise réelle, ce n’est pas seulement parler de la vie urbaine », dit-il. Il souhaite faire du Trident « une grande maison de théâtre européenne », c’est-à-dire avec l’objectif de faire des partenariats avec des compagnies en marge des grands centres urbains.

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Olivier Arteau, nouveau directeur artistique du Trident, est de la génération qui aime bouger.

Génération mobile

« Ma génération bouge beaucoup pour le travail. Pas seulement pour voyager. Pour se confronter à des visions nouvelles, d’autres processus de création, et des écoles de pensée différentes. C’est important d’aller à la rencontre d’artistes de tous les horizons », explique Olivier Arteau, qui n’a jamais eu l’intention de déménager dans la métropole.

À l’instar d’Édith Patenaude, qui a partagé la moitié de sa vie professionnelle entre Québec et Montréal. Dans les bureaux de l'Espace Go depuis deux semaines, la metteure en scène entame la transition au renouvellement de la direction artistique en 24-25 « avec un désir d’ouverture et de curiosité ». Et aussi l’intention « de tisser des liens » entre Montréal et le reste du Québec.

« Ce n’est pas juste un rapprochement Québec et Montréal, dit Patenaude. C’est une vision à plus long terme de la création. On pense au développement durable lorsqu’on commande un décor ; à la durée de vie des shows. Pour faire vivre nos spectacles plus longtemps et assurer de meilleures conditions de travail aux interprètes et aux concepteurs. »

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Édith Patenaude succède à Ginette Noiseux à la direction artistique d’Espace Go.

« C’est formidable de faire vivre une création dans le temps », seconde Marie-Josée Bastien. Les coproductions, avec deux ou plusieurs compagnies, nous permettent de penser à de plus gros plateaux. Pour Gloucester et La reine Margot, comme pour Salle de nouvelles, j’ai pu réunir 12 interprètes de Québec et de Montréal sur un plateau. « Comme metteure en scène, j’adore diriger des interprètes qui ne sont pas d’une même famille théâtrale. C’est d’une grande richesse. »