Quarante ans après la dernière représentation de la pièce Un reel ben beau, ben triste, le Théâtre du Rideau Vert et le metteur en scène Marc Béland ont choisi de sortir de l’oubli la pièce de la dramaturge abitibienne Jeanne-Mance Delisle.

La pièce créée en 1978 (et présentée pour la dernière fois au TNM en 1983) a marqué la dramaturgie d’ici avec sa langue dure et acérée. Le spectacle présenté ces jours-ci risque toutefois de moins marquer les esprits.

Faut-il tenir responsable le passage du temps, qui érode la pertinence de certains chefs-d’œuvre de jadis ? Est-ce que l’approche tonne de briques de Marc Béland à la mise en scène y est pour quelque chose ?

Toujours est-il que ce spectacle tracé à gros traits n’a pas réussi à nous convaincre de la nécessité de présenter de nouveau cette pièce qualifiée de « diamant noir de la dramaturgie québécoise ».

De noirceur, il est certes question ici. La pièce raconte l’enfer d’une famille vivant dans la plus grande pauvreté, au fond d’un rang de l’Abitibi, dans les années 1950. Venus chercher fortune dans cette supposée terre promise, les Morin n’ont trouvé qu’une terre ingrate où se poser. Le père, Tonio, règne en despote sur son clan. Il n’est que cruauté et perversion pour sa femme Laurette et ses trois filles. Seul son fils Gérald, que tous surnomment Ti-fou, semble trouver grâce à ses yeux.

Il faut dire que le fils singe le père jusque dans ses pires paroles. La violence couve dans l’esprit malade de cet enfant qui niche dans un corps d’homme, incapable de s’interposer entre son père ivrogne et le reste de la fratrie. Même les mains tendues vers cette famille au bord de l’implosion s’avéreront traîtresses.

PHOTO EVE B. LAVOIE, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DU RIDEAU VERT

La pièce dépeint les misères d’une famille dans l’Abitibi des années 1950.

Bref, la famille encaisse les coups du début à la fin, sans qu’une lueur d’espoir trouve son chemin entre les murs nus de sa froide demeure, où il n’y a que du gruau pour se sustenter.

Certes, la pauvreté est encore (et peut-être plus que jamais) d’actualité. La violence familiale (qu’elle soit verbale ou sexuelle) n’a pas été reléguée aux affres du passé. Mais la dramaturgie d’ici et d’ailleurs ne manque pas d’exemples pour nous le rappeler avec plus de subtilités et de nuances.

Le jeu des acteurs – encore là en manque cruel de nuances – ajoute à ce sentiment d’assister à une pièce à la dérive. Le père (Frédéric Boivin) n’est que cris. Les filles semblent d’une pauvreté mentale à la limite de la déficience, riant aux moments les moins opportuns. Même Nathalie Mallette, une actrice capable de nous émouvoir avec un seul regard, n’arrive pas à déclencher en nous la moindre sympathie dans son rôle de mère stoïque, incapable d’un seul geste pour protéger sa famille.

La pièce « dépeint un pan de notre histoire qu’il ne faut pas occulter », écrit la directrice artistique du Rideau Vert, Denise Filiatrault, dans le programme du spectacle. Certes, il ne faut pas oublier les peines et les misères de ceux et celles qui nous ont précédés, comme il faut célébrer la langue crue et sans compromis qui est celle de Jeanne-Mance Delisle.

Cela étant dit, on a eu toutes les misères du monde à se passionner pour ce reel théâtral qui, au bout du compte, n’est ni beau ni poignant…

Un reel ben beau, ben triste

Un reel ben beau, ben triste

Texte Jeanne-Mance Delisle, mise en scène Marc Béland

Au Théâtre du Rideau Vert, Jusqu’au 28 octobre

4,5/10

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