À Espace Libre, un autre millénial, Félix-Antoine Boutin, est récemment entré pour prendre en main la destinée artistique du théâtre. Celui qui aime bousculer les formes théâtrales a trouvé chaussure à son pied dans ce lieu voué à l’expérimentation depuis sa création.

« Ce lieu est habité par des fantômes », nous dit d’emblée Félix-Antoine Boutin en nous accueillant dans la cuisinette des employés. Inutile de demander qui hante le théâtre de la rue Fullum : les preuves sont sous nos yeux. Un portrait photocopié de Robert Gravel est scotché à un mur. Les cendres de Jean-Pierre Ronfard sont placées bien en vue, un rappel des 20 ans de la mort du metteur en scène, qui coïncidait avec le jour de notre entrevue.

Et ces fantômes de deux des huit fondateurs d’Espace Libre ne sont pas trop lourds à porter pour le nouveau directeur artistique ? « Non, ce sont de gentils fantômes ! Je me sens une parenté avec eux, même si je ne les ai pas connus. »

Comme ses prédécesseurs, Félix-Antoine Boutin aime remettre en question sa pratique théâtrale. Le comédien, auteur, metteur en scène et fondateur de la compagnie Création dans la chambre a présenté plusieurs projets d’un bout à l’autre de la métropole avant d’atterrir à la tête d’Espace Libre. « Pour moi, chaque spectacle devant public constitue un laboratoire de recherche pour le spectacle suivant », lance celui qui a besoin d’aller à la rencontre de l’autre pour avancer, pour se « déplacer intérieurement ».

Cet élan vers l’autre est un des moteurs qui animent son directorat à Espace Libre. « Je viens du milieu de la création. J’aime que les choses se fassent dans l’horizontalité. Ça ne veut pas dire que la responsabilité est diffuse entre tous les gens qui travaillent à un projet. Quelqu’un doit prendre les décisions. Mais selon moi, quand les gens sentent qu’ils font partie de la patente, ils s’investissent davantage que s’ils sont de simples exécutants. Je suis arrivé à Espace Libre avec cette approche de discussion et de confiance mutuelle. Ça me tient vraiment à cœur. »

« J’ai l’impression que ma génération travaille beaucoup de la sorte, dans un esprit de collectivité, poursuit Félix-Antoine Boutin. Je le vois aussi chez les nouveaux directeurs du Prospero, du Quat’sous, d’Espace Go… Je pense qu’un changement de culture s’est amorcé dans le milieu théâtral avec l’arrivée de toutes ces nouvelles têtes. »

Devant les difficultés éprouvées par le milieu actuellement, notamment au chapitre des fonds accordés par les différents conseils des arts, plusieurs directions de théâtre ont décidé d’unir leurs forces. « On veut mutualiser nos ressources, essayer de faire des communications communes, échanger sur nos bons coups. On se tient les coudes. Il y a des choses à inventer tout le monde ensemble. »

Je pense que ma génération n’a pas peur d’essayer. On se donne le droit de se tromper et de recommencer.

Félix-Antoine Boutin, directeur d’Espace Libre

Il ajoute : « On n’est plus de la génération des défricheurs, comme ceux et celles qui nous ont précédés. Le monde a changé ; il est plus cadré, plus structuré. Chaque jour, une nouvelle petite case à remplir s’ajoute… »

De toute évidence, ces cases qui se multiplient sur les demandes de subvention l’agacent… « On nous demande d’être plus catholique que le pape au chapitre de la diversité, de l’écoresponsabilité, de l’autochtonie, de l’accessibilité pour les personnes handicapées… On est tous pour, mais quand ça devient un système, quand on nous paternalise sur chaque affaire, ça met une pression qui n’aide personne.

J’ai l’impression qu’on nous prend trop souvent pour le département des communications du gouvernement ! On a instrumentalisé l’art et moi, ça me fait de la peine.

Félix-Antoine Boutin

Bref, les défis qui attendent les milléniaux à la tête des théâtres sont nombreux. « Notre génération se retrouve à s’occuper du patrimoine bâti, dit Félix-Antoine Boutin. On ne peut pas tout raser et recommencer à zéro. Il y a aussi une masse incroyable d’artistes à engager au Québec. On est un des territoires mondiaux où il y a le plus de propositions artistiques par habitant ! C’est un beau défi, mais il faut se donner les moyens pour le relever. On ne fait pas tous ces efforts pour nous, mais pour le public. »