« Il faut que des choses disparaissent pour que d’autres adviennent ». Ces mots prophétiques, qui ouvrent l’inclassable spectacle Affaires intérieures, n’auraient pu être mieux choisis.

En acceptant d’unir leurs voix dans ce projet, l’actrice Sophie Cadieux, la chorégraphe Mélanie Demers et la musicienne Frannie Holder ont abandonné beaucoup de leurs certitudes. Leur unicité a disparu pour le bien commun afin que naisse un objet théâtral nouveau, où se succèdent le tendre, le doux, mais aussi l’âpre et le rugueux.

En effet, les trois créatrices, très réputées dans leur milieu respectif, ont plongé dans l’inconnu en visitant les disciplines des autres. Chantant d’une seule voix ou bougeant à l’unisson, elles font face au public dans un état de grande vulnérabilité qui force l’admiration. Dans ce voyage au cœur de l’intime, loin du vacarme ambiant et de « ces bruits qu’on subit », chacune chante, danse et joue.

Ensemble, elles nous invitent à tourner notre regard vers l’intérieur, vers ces frontières invisibles qui nous composent tous. Il est question ici d’atomes qui s’entrechoquent, de fleuves qui s’assèchent pour renaître ailleurs, de la finitude de l’inconnu. Mais surtout, les trois artistes nous parlent de douceur, de tous ces gestes doux qui ne sont ni mièvres ni pâles, mais qui assurent la pérennité du monde.

Évoluant dans un décor duveteux absolument spectaculaire (chapeau bas à Geneviève Lizotte), ces femmes au talent protéiforme nous envoûtent, qui avec ses mots, qui avec ses gestes ou ses chants.

Avec sa voie enveloppante, Frannie Holder livre une prestation qui constitue un vrai baume pour les âmes meurtries. Impossible de résister à sa présence lumineuse et à l’abandon avec lequel elle interprète ces chansons inédites. Elle est, des trois, la plus émouvante.

Fidèle à elle-même, Sophie Cadieux manie le texte comme une équilibriste, oscillant entre le grave et le comique. Quant à Mélanie Demers, on ne peut la quitter des yeux lorsque son corps et tout son visage se lancent dans une chorégraphie spasmodique où semblent se bousculer toutes les émotions qu’un cœur humain peut ressentir.

PHOTO YANICK MACDONALD, FOURNIE PAR L’ESPACE GO

Mélanie Demers propose notamment une chorégraphie étonnante où elle danse avec une pelle.

De fait, ce spectacle performatif, qui ne suit aucune courbe dramatique définie et ne s’encombre d’aucun repère de temps ou d’espace, nous apaise étrangement. Pendant une heure et des poussières, on finit véritablement par oublier la violence de notre temps.

Seul regret : dans cette enfilade de gestes, de chansons et de répliques lancées en chœur, on perd parfois des morceaux du texte. Or, la poésie de cette partition est belle et chaque mot semble avoir été cueilli avec soin.

Peut-être ce texte sera-t-il publié un jour pour qu’on puisse le déguster entièrement et par petites gorgées. Car il y a dans Affaires intérieures une riche matière pour alimenter une réflexion sur notre humanité.

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Affaires intérieures

Affaires intérieures

Spectacle de Sophie Cadieux, Mélanie Demers et Frannie Holder

À l’Espace Go, Jusqu’au 11 février

7/10