Beaucoup ont découvert le mathématicien Alan Turing par le film Imitation Game (Le jeu de l’imitation). Benedict Cumberbatch prêtait alors ses traits à celui qui a su décoder l’ordinateur allemand Enigma en pleine Seconde Guerre mondiale. Voici que Turing débarque au théâtre, incarné cette fois par Benoît McGinnis.

Si le long métrage s’attardait à l’exploit scientifique du scientifique britannique, la pièce présentée au Rideau Vert, intitulée La machine de Turing, lève plutôt le voile sur l’humain derrière le génie des mathématiques et de la cryptologie.

La peine, la solitude, mais aussi la fierté de s’accepter tel qu’on est planent sur ce texte écrit à hauteur d’homme. Les calculs algébriques qui ont fait la renommée de Turing sont à peine évoqués. Qu’on se le dise : ce spectacle est résolument destiné au grand public, pas aux passionnés d’équations à trois inconnues !

La pièce signée Benoit Solès a remporté quatre prix Molière lors de sa création en France en 2018. Elle arrive au Québec dans une adaptation de Maryse Warda et une mise en scène de Sébastien David.

Ici, Alan Turing est un homme bègue, maladroit socialement et à l’humour si décalé qu’il en est malaisant parfois. Les chiffres sont ses seuls amis. C’est entouré de ces entités qu’il se sent à sa place. C’est d’autant plus vrai qu’il doit cacher son homosexualité, encore jugée illégale en Grande-Bretagne au milieu du XXsiècle.

Et c’est cette intolérance face à l’homosexualité qui causera sa descente aux enfers…

Des interprètes justes et efficaces

Pour incarner ce solitaire forcé au destin tragique, Benoît McGinnis fait preuve de beaucoup de sensibilité et de nuances. En mettant de l’avant le côté rêveur et parfois candide de celui qu’il interprète, l’acteur en fait une figure attachante. On oublie le génie qui peut lire les codes secrets ; on ne voit qu’un homme en quête de chaleur humaine.

La fin indigne et cruelle de Turing, à qui on impose une castration chimique par prise d’œstrogènes, n’en est que plus injuste…

PHOTO FRANÇOIS DELAGRAVE, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DU RIDEAU VERT

Étienne Pilon (debout) endosse le rôle du commissaire de police Mikaël Ross.

Face à Benoît McGinnis, Étienne Pilon incarne un commissaire de police rigide au possible, dans sa tête comme dans son corps. On comprend toutefois mal comment cet homme antipathique a pu passer de la froideur à l’affection face à celui qu’il interroge.

Jean-Moïse Martin est le patron envieux de Turing dans la cellule secrète d’espionnage chargée de décrypter Énigma. Finalement, Gabriel Cloutier Tremblay endosse le rôle du jeune amant qui provoquera la chute de celui qui a sauvé des milliers de vies en déchiffrant l’appareil de communications des Allemands.

Tous ces acteurs sont justes et efficaces. Rien à redire. Mais l’efficacité n’est pas forcément ce qui fait qu’une pièce nous happe, nous ébranle et nous hante.

La solide ligne dramatique du texte et la grande humanité qui en émane font de La machine de Turing un spectacle touchant par moments, voire instructif. Mais cette production assez conventionnelle n’est pas non plus du genre à nous marquer durablement.

La mise en scène très sage de Sébastien David y est sans doute pour quelque chose. Les acteurs s’échangent des répliques, brisent allègrement le quatrième mur et enchaînent les scènes chronologiquement désordonnées sans que le cœur du public palpite vraiment. L’ensemble baigne dans une certaine froideur qui nous tient à distance des émotions des personnages, de leurs ambitions et de leurs peurs alors qu’autour d’eux, le monde basculait.

Il reste que dans ce texte, Alan Turing soulève plusieurs grandes questions philosophiques qui sont toujours d’actualité. Est-ce qu’une machine peut penser ? Quelle est la logique globale qui régit le monde ? Pourquoi est-ce si difficile d’accepter la différence ? La pièce nourrit sans conteste la réflexion du public.

Alan Turing gardait en lui une grande soif de comprendre ce qui se passait autour de lui. On aurait voulu se passionner pour sa vie et s’émouvoir de son triste sort. On a plus modestement passé une bonne soirée en sa compagnie.

Consultez la page du spectacle
La machine de Turing

La machine de Turing

Texte de Benoit Solès, mise en scène de Sébastien David. Avec Benoit McGinnis, Étienne Pilon, Jean-Moïse Martin et Gabriel Cloutier Tremblay.

Théâtre du Rideau Vert, Jusqu’au 24 février, puis en tournée au Québec

6,5/10