Il n’y a pas que les mots d’amour pour faire battre les cœurs. Le spectacle Aux grands maux, les grands discours en fait la démonstration, vingt fois plutôt qu’une.

Ce collage d’extraits de discours ayant marqué l’histoire avec un grand H offre au public une chance unique de découvrir par les mots 230 années de luttes pour l’égalité, de combats pour les droits civiques et d’appel à la mobilisation des nations.

Rémi Villemure s’est chargé d’adapter ces textes pour en extraire la sève. Avec la directrice artistique Luce Rozon et la metteuse en scène Marie Guibourt, il a choisi les passages qui trouvent une forte résonance dans le Québec – et le monde – d’aujourd’hui.

Quatre interprètes très inspirés

Certains discours sont plus récents – pensons au Yes We Can de Barack Obama –, mais d’autres ont été écrits il y a longtemps. C’est le cas de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, qui date de 1791. L’écrivaine française visait par ce texte à obtenir pour les femmes l’accès à la citoyenneté et au droit de vote. Sans succès, puisqu’il faudra attendre 1944 pour que les Françaises puissent enfin voter.

PHOTO BERTRAND EXERTIER FOURNIE PAR AGENTS DOUBLES

La poésie trouve aussi sa place ici. Martin-David Peters, Dorothée Berryman, Marc Béland et Naïla Louidort (dans l’ordre) récitent le poème Speak White de Michèle Lalonde.

Les textes sont portés, dans un décor épuré, par quatre interprètes très inspirés : Dorothée Berryman, Marc Béland, Naïla Louidort et Martin-David Peters. Ils manient les mots sans jamais essayer de pasticher ceux qui les ont dits à l’origine. Ils gardent la superbe, le souffle ou l’émotion, mais ne s’empêtrent pas dans les tics ni les intonations. Plusieurs projections vidéo tirées d’archives historiques – ou de vieilles publicités machistes jusqu’au ridicule – viennent soutenir leur jeu. La musique, utilisée avec parcimonie, vient appuyer certains passages sans les étouffer.

Résultat : on croit entendre René Lévesque lorsque Marc Béland reprend deux de ses allocutions, dont celle qui a suivi la défaite du référendum en 1980.

Les gorges se serrent devant l’espoir porté bien haut par Martin-David Peters et Naïla Louidort, qui reprennent le célèbre et bouleversant discours de Martin Luther King Jr. à Washington en 1963 : J’ai fait un rêve (I had a dream).

Et on frissonne d’horreur quand Marc Béland se lance dans un discours plein de fiel envers le peuple juif, scandé par Adolf Hitler devant une foule conquise.

Entre la lumière et l’ombre

Il faut le souligner, ce spectacle n’est pas seulement tissé dans les bons sentiments. La rhétorique guerrière d’Hitler, de Himmler ou de George Patton s’y font entendre. Car il ne faut jamais oublier que si « la plume est plus puissante que l’épée », comme l’a si bien dit Malala Yousafzai (dans un autre discours chavirant du spectacle), les mots servent aussi parfois à aiguiser les haines. Et que si le verbe bien manié peut apporter l’espoir, il peut aussi faire naître les pires atrocités.

Avec son juste dosage entre la lumière et l’ombre, Aux grands maux, les grands discours nous pousse surtout à réfléchir au monde qui est le nôtre, ici et maintenant. Et on ne peut s’empêcher d’éprouver un peu de découragement devant les hoquets de l’histoire et devant la pauvre éloquence de certains dirigeants actuels.

Heureusement, au bout de près de deux heures de spectacle (entracte compris), l’espoir finit par l’emporter. Comme une volonté renouvelée de veiller sur ces droits qui ont été durement acquis en partie grâce à la verve de ces orateurs de génie. Car il n’y a rien de plus dangereux que l’indifférence. Ce n’est pas nous qui le disons, c’est l’écrivain et philosophe Elie Wiesel, dans une allocution faite à la Maison-Blanche en 1999. Un – énième – discours coup-de-poing et coup de cœur de ce spectacle touchant de bout en bout.

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Aux grands mots, les grands discours

Aux grands mots, les grands discours

Mise en scène de Marie Guibourt. Avec Dorothée Berryman, Marc Béland, Naïla Louidort et Martin-David Peters

Au Gesù puis à Québec et à Sainte-Agathe, Jusqu’au 10 février au Gesù

8/10