Ultimement, le sort de la majorité des espèces vivantes est de mourir. Elles évoluent puis disparaissent, remplacées par d'autres espèces mieux adaptées à la vie. C'est ce que l'on appelle le processus de spéciation, où de nouvelles espèces vont émerger naturellement, suivant une lente évolution, pour occuper une niche écologique. On estime qu'environ 999 espèces sur 1000 ont disparu au cours de l'évolution de la vie sur Terre. Ainsi va la vie, ainsi va la mort, depuis toujours.

Avant l'arrivée de l'humain sur cette planète, le taux d'extinction était assurément faible. Les extinctions de masse, reliées à des phénomènes biogéologiques, ont toujours été des événements d'exception. Mis à part certaines espèces résistantes, on peut calculer qu'une espèce met entre cinq et 10 millions d'années avant de s'éteindre.

Or, ces données ont changé de façon draconienne depuis que l'Homme, un prédateur invasif redoutable, domine la Terre. Certains chercheurs estiment que près de la moitié des espèces vivantes pourraient disparaître complètement au cours du prochain siècle. À ce triste constat – ce que plusieurs appellent la sixième extinction massive – il faut maintenant ajouter une autre analyse scientifique peu encourageante.

Selon les récentes données d'un groupe de chercheurs de l'Université du Colorado, publiées dans la revue Nature, certaines espèces sont exposées à un risque d'extinction beaucoup plus important que ce qui était généralement admis jusqu'à maintenant. Aux critères normaux d'évaluation d'une population, comme les risques directs de mortalité pour les populations en déclin ou encore les conditions environnementales (déforestation, changements climatiques, perte d'habitats), il faut aussi considérer le ratio mâles-femelles, ainsi que les taux de mortalité et de fécondité, pour obtenir une véritable évaluation du statut de cette population. C'est maintenant prouvé, les variations de température peuvent avoir une importante influence sur la détermination du sexe de certaines espèces, lors du développement de leurs embryons.

Ce phénomène de différenciation sexuelle, influencé par l'environnement, a été observé principalement chez les reptiles, les crocodiles et les tortues. Par exemple, chez une espèce de lézard d'Australie, des chercheurs ont pu constater que des oeufs incubés à des températures basses, entre 23°C et 26°C, et élevées, entre 30°C et 33°C, donnaient des femelles, alors que l'incubation à une température intermédiaire, entre 27°C et 30°C, produisait de jeunes lézards mâles. De petits changements de température peuvent ainsi donner lieu à des changements spectaculaires dans le rapport des sexes d'une population.

Déjà, sans tenir compte de ces nouvelles conclusions scientifiques qui montrent que l'on sous-estime le nombre d'espèces en péril, l'Union mondiale pour la nature (UICN) dénombre 16 306 espèces menacées. Parmi elles, on note un mammifère sur quatre, un oiseau sur huit et près d'un tiers de tous les amphibiens de la planète. Également, 70% de toutes les plantes évaluées par le groupe d'experts sont en péril! L'activité humaine constitue bien sûr le principal facteur de fragilisation. Le taux actuel d'extinction est de 100 à 1000 fois supérieur au taux normal.

Le sort des espèces menacées est souvent relié à notre niveau d'éducation et de sensibilisation. Les programmes de conservation, lorsqu'ils sont concertés, peuvent donner de bons résultats, mais les efforts demeurent largement insuffisants. Dans son bilan annuel, l'Union mondiale pour la nature a dû ajouter 188 nouvelles espèces menacées en 2007, alors qu'une seule a vu son statut s'améliorer. La conclusion des 10 000 scientifiques de 147 pays, qui ont participé à cette vaste étude, est éloquente: la vie sur terre disparaît rapidement et continuera de disparaître si des mesures ne sont pas prises de toute urgence.

S'il est possible de bien cibler une problématique pour une espèce terrestre, il en est souvent tout autre pour les espèces marines, pour lesquelles nous possédons très peu de données scientifiques. Selon une autre étude publiée la semaine dernière dans le journal BioScience, les manchots seraient de bons indicateurs de la dégradation générale des océans et des habitats marins. La pollution chimique, la dégradation spectaculaire des stocks de poissons, le développement côtier et les changements climatiques menacent de plus en plus les habitats essentiels aux différentes espèces de manchots.

Le déclin rapide observé chez une majorité d'espèces de manchots traduit l'inquiétude qui plane sur les espèces marines en général. Mais on connaît peu de choses sur leur biologie. Les exemples sont pourtant légion: que ce soit en Afrique, aux îles Malouines, en Amérique du Sud, en Australie ou en Antarctique, les scientifiques continuent d'enregistrer des baisses critiques de certaines populations de manchots. Selon ces experts, il faut rapidement accroître nos connaissances sur ces espèces qui traduisent une difficile cohabitation avec les humains, et qui constituent des baromètres de l'état de dégradation générale de l'habitat marin.

Rien ne va plus dans ce monde à partager entre les différentes espèces. L'humain et sa croissance démographique menacent de plus en plus l'équilibre millénaire qui a toujours régi les règles de partage des ressources. Nous n'étions que trois milliards d'humains en 1960. Nous serons près de huit milliards en 2025. La demande pour les ressources s'accentue et, si nous ne prenons pas rapidement des mesures de correction importantes pour favoriser un développement durable, nous continuerons d'accélérer le rapide mouvement d'extinction de la vie sur cette planète. Consciemment, nous participons tous à la sixième grande extinction. Nous qui, du point de vue de l'évolution et de ses lois naturelles, faisons face à la même menace puisque, n'en déplaise à certains, nous ne sommes qu'une espèce parmi tant d'autres. Ignorer ce simple fait nous ramène à l'âge de pierre. Même à cette époque, on devait utiliser l'expression, sans doute populaire: jouer avec le feu...

LA QUESTION DE LA SEMAINE

Q: Quels sont les effets de l'augmentation du CO2 sur les océans?

- Marie-France, Drummondville

R: Le réchauffement des océans, associé à l'accumulation de CO2 dans l'atmosphère, entraîne leur acidification. On entend peu parler de ce phénomène, mais il pourrait représenter l'une des plus grandes menaces pour les océans, à court et moyen termes. Cette augmentation d'acidité affecte les animaux marins qui possèdent une coquille de protection, comme les oursins ou les mollusques, mais également d'autres créatures qui jouent un rôle essentiel au niveau de la chaîne alimentaire océanique.

Les changements observés des caractéristiques physiques des océans entraînent un stress supplémentaire chez plusieurs organismes marins, ce qui les rend plus vulnérables à d'autres stress environnementaux, tel que le réchauffement de leur milieu vital. Certains organismes méconnus du grand public, comme les ptéropodes, des vers pélagiques qui constituent une source abondante de nourriture pour les poissons – qui sont à leur tour mangés par des manchots ou autres prédateurs – ne sont pas aussi charmants que les ours polaires ou les manchots. On en entend donc moins parler dans les médias. Toutefois, ils représentent des indicateurs biologiques essentiels de la dégradation des océans.

Plusieurs de ces espèces sont aujourd'hui menacées par cette nouvelle acidification des océans. Une telle diminution de la nourriture primaire risque d'affecter toute la chaîne alimentaire et, éventuellement, les animaux prédateurs, comme les manchots, qui suscitent tant d'admiration au sein de l'opinion publique. Si les prédateurs que l'on connaît mieux sont menacés, c'est assurément parce que d'autres formes de vie, souvent moins connues, le sont aussi. Tout est relié, tout est toujours relié...

L'auteur est biologiste, photographe et cinéaste. Il a été chef de trois missions à bord du voilier Sedna IV, dont la plus récente en Antarctique. Il signe tous les dimanches une chronique dans nos pages.

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