Avec deux intellectuels à la tête des principaux partis en lutte dans cette campagne, nous étions en droit de nous attendre à un peu de substance dans les débats.

Eh non, pourtant. Oubliez ça, pour le moment, ce sont les faiseurs (ou plutôt, les défaiseurs d'image) qui mènent le show. Et ce n'est pas très édifiant.

Rarement a-t-on vu un début de campagne électorale aussi négatif. Normalement, les partis politiques, surtout quand ils traînent la patte, gardent l'artillerie lourde pour les dernières semaines de campagne. Pas cette fois.

Dès les premières heures de la campagne, dimanche, Stéphane Dion, Gilles Duceppe et Jack Layton ont pilonné le chef conservateur et ce dernier a répliqué hier avec une première salve de publicité ridiculisant la personnalité et le plan vert du chef libéral.

C'est à croire que les stratèges de nos partis politiques ont tous suivi des stages de formation aux États-Unis au cours de l'été et qu'ils mettent maintenant les théories en pratique.

Souhaitons que la substance reprenne un peu de place, autrement cette campagne va être longue et salissante. Mais pour le moment, les «spins doctors» s'amusent comme des petits fous.

On le voit d'abord dans le ton des discours et dans le contenu des publicités.

Le Bloc a tiré en premier, accusant Stephen Harper d'avoir violé sa promesse de tenir des élections à date fixe. Cette publicité négative a au moins le mérite d'être vraie sur le fond.

On ne peut pas en dire autant de la pub télévisée des conservateurs qui ridiculise Stéphane Dion et affirme qu'il augmentera les taxes et privera les familles de l'allocation mensuelle pour enfant. En plus de déformer les faits, ce message s'en prend à la personnalité «prof d'école» de Stéphane Dion, à son faciès même. Clairement, on le dépeint comme un niais.

En bon français, on appelle cela faire de l'«overkill». Les conservateurs avaient réussi au cours des derniers mois à dépeindre M. Dion comme un leader mou et confus. Il est étonnant de les voir en rajouter, au risque de trop en mettre et d'indisposer les électeurs réfractaires aux attaques personnelles. M. Harper aurait pu se placer au-dessus de la mêlée, jouer les premiers ministres, mais il n'a apparemment pas pu résister à la tentation de taper sur son adversaire libéral.

Le ton des discours est aussi acrimonieux que les campagnes publicitaires. Stephen Harper accuse Gilles Duceppe de n'avoir aucun pouvoir, sinon celui de critiquer. Le chef conservateur a aussi ressorti hier le vieil épouvantail du marasme économique lié au projet souverainiste. Celle-là, il y avait longtemps qu'on l'avait entendue...

Gilles Duceppe n'est pas en reste, dépeignant depuis deux jours Stephen Harper comme la pire menace de droite pesant contre le Québec.

Curieusement, c'est celui qui aurait le plus intérêt à mordre, Stéphane Dion, qui le fait le moins depuis deux jours. Il s'est toutefois engagé en terrain négatif hier, au collège Dawson, accusant Stephen Harper de «tolérer» les armes d'assaut militaires dans les rues des villes canadiennes. Cette manoeuvre sent la petite récupération. Le chef libéral pense-t-il vraiment que son rival conservateur est favorable à la libre circulation des AK-47 dans les rues Montréal ? Bien sûr que non, mais l'heure n'est pas aux nuances.

Quand ils ne sont pas occupés à défaire le portrait de leurs adversaires, les faiseurs d'image mettent aussi beaucoup d'efforts à «travailler» leur candidat. Nous assistons même dans cette campagne à des transformations extrêmes. Du moins, à des tentatives de transformations extrêmes, soit Stephen Harper en bon père de famille chaleureux et aimant et Stéphane Dion en un bon gars, drôle et décontracté.

«(...) Non seulement on va se battre tous les jours les 37 prochains jours pour le Canada auquel nous croyons, mais en plus on va avoir du fun! (...) Le party, c'est au Parti libéral du Canada que ça se passe», a lancé M. Dion, dimanche dans son premier discours. Du fun? C'est pas ça que l'on entend chez les libéraux ces temps-ci...

Stéphane Dion en « party animal », avouez qu'il faut le faire. Si ça fonctionne, ceux qui ont pensé à ça méritent un oscar pour le scénario le plus audacieux.

Du côté conservateur, la transformation de Stephen Harper en papa gâteau représente aussi un gros défi, mais la marche est tout de même moins haute que pour Dion-le-joyeux-luron.

Ces stratégies de modelage de personnalité sont aussi inspirées par la politique américaine. On a tous vu Barack Obama «The family man», des images soignées par les conseillers démocrates pour contrer l'image hautaine et arrogante que lui ont collée les républicains.

La transformation extrême du candidat républicain est encore plus impressionnante, lui qui est devenu monsieur Changement !

Libéraux et conservateurs suivent ici la même recette. M. Harper est vu comme un homme froid qui coupe dans les programmes culturels, qui est en faveur de la guerre en Irak et qui serre la main de son fils de 8 ans quand il le dépose à l'école. Pas de problème, suffit de le dépeindre comme un bon papa douillet.

Stéphane Dion, lui, traîne son image de professeur d'université, de «nerd» à lunettes ennuyant et pas drôle du tout. Facile, suffit d'en faire un boute-en-train.