Plus tôt cette semaine, ma collègue Nathalie Collard nous a révélé une statistique étonnante provenant de BBM: quand cette émission était encore diffusée, Occupation double dominait non seulement les cotes d'écoute générale, mais aussi dans les créneaux destinés aux ados et aux enfants.

Oui, les enfants. Le créneau poétiquement appelé les 2 à 11 ans par les sondeurs de notre téléphilie collective.  

Le texte de Nathalie portait sur la piètre image des femmes véhiculée par les émissions les plus populaires auprès des filles et des adolescentes, et sur l'impact que cela peut avoir sur toutes ces futures femmes. Sujet d'une grande pertinence.

Mais je suis sortie de cette lecture encore plus abasourdie par le fait que des parents laissent, voire incitent leurs tout petits, à écouter OD.

Rien dans cette téléréalité n'est approprié pour un si jeune auditoire, et cela va du niveau de langage aux thèmes abordés en passant par le sujet central de l'émission: le couple, ce sport extrême.

Et arrêtez tout de suite, je vous prie, de me traiter de snob qui regarde de haut ce genre de matériel. Mon commentaire porte d'abord sur le sujet de l'émission. Et on ne lit pas plus le soir, avant le dodo, Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos à nos bambins ensommeillés, comme on ne leur loue pas Belle de Jour de Luis Buñuel sur iTunes, comme on ne les emmènera pas voir Les hommes qui n'aimaient pas les femmes au cinéma, même si on adore l'auteur Stieg Larsson et le réalisateur David Fincher.

Ce ne sont tout simplement pas des choses pour eux.

Est-ce rendu si difficile d'imposer des interdictions aux enfants ou tout simplement de choisir de ne pas les exposer à des images et des réalités qui demandent de la maturité pour être comprises et digérées?

Ou est-ce de l'inconscience? De la paresse?

Une autre de mes collègues, Silvia Galipeau, a publié cette semaine un papier qui portait cette fois sur l'encadrement des enfants quand ils vont sur l'internet. Cyberaide.ca, un organisme relevant du Centre canadien de protection de l'enfance, qui dit recevoir - tenez-vous bien - 700 signalements par mois de cas d'exploitation sexuelle d'enfants sur l'internet, a fait faire un sondage. Et celui-ci montre que même si les parents sont assez conscients des dangers qui guettent les jeunes sur l'internet, ils agissent peu pour les protéger. Ainsi, la moitié des parents n'en parlent pas avec leurs enfants et les trois quarts n'utilisent pas de logiciel de contrôle parental.

Trop compliqué?

Il y a des gens qui n'ont pas le temps de surveiller à la loupe les agissements de leurs enfants, car ils sont débordés par la vie. On imagine toutes sortes de circonstances difficiles. Maladie. Pauvreté. Handicaps... Mais sont-ce vraiment des excuses que peuvent invoquer tous les parents qui laissent leurs enfants regarder des émissions inappropriées le soir, avec les impacts que cela peut avoir sur leur apprentissage du monde? Est-ce une excuse pour tous ceux qui laissent leurs enfants faire n'importe quoi sur l'internet, les exposant ainsi aux dangers? Pour tous ces parents qui, parce qu'ils ne prennent tout simplement pas le temps de réfléchir suffisamment aux nouveautés que la société moderne nous lance au visage chaque jour, imposent indirectement aux autres parents de nouvelles normes collectives hautement discutables?

Que ce soit en laissant leurs filles de 12 ans s'habiller comme des vedettes de films XXX ou en achetant des jeux vidéo hyper violents à leurs fils de 10 ans, ces parents ne prennent pas uniquement des décisions familiales ou individuelles. Ils participent à des environnements d'enfance où l'esprit d'appartenance joue un rôle crucial. Où la pression sociale est omniprésente.

On ne peut y être purement individualiste.

Permettre à un jeune enfant de regarder une émission qui ne lui est pas du tout destinée et qui est inappropriée oblige le parent de sa meilleure amie, du petit voisin, du camarade de l'équipe de hockey à justifier son refus de son côté.

Les parents qui savent où ils s'en vont ne se remettront pas en question et auront la force de leurs convictions, on s'entend, car cela aussi fait partie de la tâche de tous de tenir son bout, que ce soit pour dire non à un enfant qui veut louer le DVD de Dexter ou aller sans adulte voir un concert rock au Centre Bell.

Mais ces débats ont leur place dans l'espace commun. Qu'on le veuille ou non, nous sommes tous dans une zone collective où nos décisions de parents sont exposées et ont des impacts sur les autres, dans des lieux publics concrets et virtuels que l'internet, tel un lampadaire géant, éclaire plus que jamais.

Lorsque des parents laissent leurs jeunes faire de l'intimidation sur Facebook parce qu'ils ne surveillent rien, c'est notre problème à tous. Quand ils laissent l'hypersexualisation des adolescentes faire des gains quotidiens parce qu'ils n'ont tout simplement pas envie d'être le «pas cool» ou parce qu'ils n'ont jamais réfléchi aux conséquences de cette nonchalance, c'est aussi notre problème à tous.  

Quand ils laissent leurs enfants de 2 à 11 ans regarder une téléréalité sur le couple, pour adultes, passé les heures de dodo, ce n'est pas un geste purement isolé. Et ce n'est certainement pas lancer une nouvelle inquisition pudibonde digne des curés d'autrefois que de poser des questions à voix haute.

Ces discussions ne peuvent être réglées et terminées: notre monde change constamment et nous oblige à nous adapter sans arrêt aux réalités que nos enfants côtoient. Rien n'est figé. Tout est à évaluer et à réévaluer.

Baisser les bras et regarder ailleurs, est-ce réellement la bonne attitude devant cet épuisant défi?