Les Québécois ne seront pas les seuls à devoir bientôt payer leurs rendez-vous chez le médecin. Les Haïtiens, qui avaient accès à des soins gratuits depuis le tremblement de terre du 12 janvier, passeront à la caisse à compter de la mi-avril.

Aux yeux de Médecins sans frontières, ce retour aux soins payants n'est pas seulement prématuré. Il est insensé. «Ça repose sur l'illusion que la population haïtienne est solvable», dénonce Bruno Jochum, directeur des opérations de MSF, qui appelle le gouvernement haïtien à revenir sur sa décision.

 

Déjà en temps normal, les Haïtiens accédaient difficilement aux services médicaux. C'est encore plus vrai aujourd'hui, alors que des centaines de milliers de sinistrés vivent toujours sous des bâches de fortune, dans des villes ravagées où les emplois sont quasi inexistants.

Le retour prochain à la facturation des soins n'est qu'un micro détail, qui a été enterré sous la montagne de bonnes intentions annoncées hier à New York. Mais c'est le genre de détail qui en dit long. Car il permet de mesurer la distance entre l'élan de générosité internationale et l'amélioration réelle des conditions de vie des Haïtiens.

Les milliards qui doivent permettre à Haïti de construire des routes, des écoles et des hôpitaux mettront du temps avant de faire sentir leur impact sur la vie quotidienne des gens. Et d'ici là, des milliers d'Haïtiens pourraient hésiter à aller voir un médecin, faute d'argent.

Plus de 10 semaines après le séisme, la vie est loin, très loin d'être revenue à la normale à Port-au-Prince et dans les autres villes dévastées. Hier, les bailleurs de fonds internationaux se sont engagés à verser 5,3 milliards au cours des deux prochaines années pour répondre aux besoins immédiats d'Haïti. C'est un effort sans précédent, qui dépasse de plus d'un milliard la demande du gouvernement haïtien lui-même! Dans un horizon de trois ans, c'est près de 10 milliards de dollars internationaux qui seront injectés dans la reconstruction du pays.

Comment cet argent sera dépensé? Le président René Préval est arrivé à New York, hier, avec un ambitieux plan de reconstruction dans ses bagages. Ce plan détaille, sur une cinquantaine de pages, les projets immédiats du gouvernement haïtien: 780 millions pour reconstruire les zones dévastées, 157 millions pour le réseau électrique défaillant, 295 millions pour loger la population, 390 millions pour la santé, 65 millions pour aménager de nouveaux «pôles urbains» et désengorger la capitale, 470 millions pour construire des écoles, etc.

Plus précisément, le plan prévoit que 100 000 sinistrés qui vivent toujours dans des camps insalubres à Port-au-Prince seront déplacés dans de nouveaux sites à l'extérieur de la capitale. Autres exemples de projets concrets: Haïti veut construire deux nouveaux aéroports, huit nouveaux hôpitaux de référence et de nouvelles prisons. Le gouvernement veut aussi investir dans l'éducation: 30 millions sont censés être consacrés à une vaste campagne d'alphabétisation, par exemple.

Ce plan sera administré par une Commission intérimaire pour la reconstruction d'Haïti, où les pays donateurs seront majoritaires. Cela évite l'écueil politique d'une mise en tutelle, mais permet néanmoins de veiller au grain. Un détail suscite l'inquiétude: dans son projet, le gouvernement haïtien prévoit qu'un peu moins du tiers des dons internationaux atterriront directement dans le budget de l'État, dont les sources de financement ont été détruites. Or, ces sommes échapperont forcément au contrôle international.

Le plan n'est pas dépourvu de formules ronflantes. On peut se demander comment Haïti s'y prendra pour «reconstituer une masse critique de ressources humaines qualifiées», par exemple. Mais au-delà de ces bémols, le projet est ambitieux. Et, on l'a vu hier, l'argent est au rendez-vous.

Reste LA question: comment s'assurer que cette fois-ci, contrairement aux autres fois, l'argent promis ne se volatilisera pas en chemin et servira effectivement à construire des écoles, des routes et des hôpitaux? Au lieu de renflouer quelques grandes fortunes - pendant que la majorité des gens ont de la peine à payer les frais scolaires de leurs enfants, ou les soins médicaux dont ils ont besoin.