Depuis les ravages de la radio des Mille Collines, dans le Rwanda d'avant le génocide, on connaît le rôle néfaste que les médias peuvent jouer dans des pays déchirés par des conflits ethniques.

Mais ces dernières années, dans cette même région torturée de la planète, la radio tente d'apaiser les tensions, au lieu de les exacerber, constate un chercheur montréalais, William Tayeebwa.

 

Originaire de l'Ouganda, William Tayeebwa connaît bien les pays des Grands Lacs. Adolescent, il était allé jusqu'à s'enrôler dans une armée rebelle dont le chef, Yoweri Museveni, a fini par prendre le pouvoir et l'exerce sans relâche depuis près d'un quart de siècle.

Mais sa période d'enfant-soldat n'aura duré que trois mois. Car sa mère est venue à sa rescousse pour le renvoyer à l'école. Avec succès puisque ce spécialiste des médias termine actuellement son doctorat à l'Université Concordia, à Montréal. Son sujet d'étude: les radios de la paix.

Les ondes peuvent-elles vraiment réconcilier les peuples? Jusqu'à un certain point, oui, mais jusqu'à un certain point seulement, constate William Tayeebwa, que j'ai rencontré lors de son bref passage à Montréal, entre un séjour en Ouganda et un autre au Burundi.

William Tayeebwa s'est penché, entre autres, sur le rôle qu'ont joué deux radios ougandaises dans le désarmement des rebelles de la Lord Resistance Army (LRA), un groupe de combattants mystiques que l'on tient responsable de la mort d'un demi-million de personnes. Et qui continue de faire des ravages en République démocratique du Congo.

Au début des années 2000, la LRA sévissait en Ouganda. Plusieurs de ses «soldats» étaient de tout jeunes hommes, parfois des enfants, enlevés et enrôlés contre leur gré.

Parfois, ils avaient été forcés de tuer dans leur propre village: une façon de les obliger à couper tous les ponts derrière eux. Et leurs commandants ne manquaient pas de leur répéter que dans leur village, leur vie ne valait pas cher.

Deux stations de radio, Mega FM et Radio Wa, ont alors entrepris de contrer ce message avec des émissions qui appelaient les jeunes à rentrer chez eux, et leur expliquaient qu'ils y auraient accès à des services de réhabilitation. L'une de ces émissions était intitulée Karibu: ce qui, en swahili, signifie «Bienvenue». Peu à peu, les jeunes rebelles ont amorcé le chemin du retour.

Un chemin difficile, puisque plusieurs de ces jeunes hommes restent stigmatisés dans leur communauté. Mais au moins, ils ne tuent plus. «Et ils sont tous pleins de remords», dit William Tayeebwa, qui a interviewé quelques-uns de ces combattants défroqués.

Au Burundi, ce pays voisin du Rwanda qui a connu sa part d'affrontements entre Hutus et Tutsis, le chercheur s'est penché sur le rôle joué par la radio Studio Ijambo dans la réconciliation nationale.

Cette radio diffuse des émissions où l'on tente de maintenir le dialogue entre les deux groupes ethniques. Elle peut asseoir autour d'un même micro des Tutsis qui ont perdu des proches dans les tueries et des Hutus qui avaient tenté de les prévenir.

Aujourd'hui, des tensions persistent entre les deux groupes, et elles concernent surtout la distribution des terres, explique William Tayeebwa. Studio Ijambo aborde ce sujet sur ses ondes. Mais c'est là que la radio se heurte à ses limites: «Si le gouvernement n'agit pas, s'il ne redistribue pas les terres, la situation ne change pas.» Et les tensions demeurent.

Mais au moins, la radio tempère les tensions. Et le plus important, c'est que la sensibilité à la capacité de nuisance des médias est restée très, très élevée.

En 2009, il y a eu des émeutes en Ouganda, raconte le chercheur. Quelques postes de radio se sont alors amusés à jeter de l'huile sur le feu des divisions ethniques. Ils ont été immédiatement fermés. Tant que cette sensibilité restera aussi vive, l'apparition d'une nouvelle radio des Mille Collines paraît improbable.