Oubliez pendant quelques paragraphes les sommets du G8 et du G20. Au lieu de Muskoka et Toronto, tournez votre regard vers Goma, cette ville de l'est de la République démocratique du Congo qui est considérée comme la capitale mondiale du viol.

Nous sommes en juin 2009, à l'époque des examens de fin d'année, et une vingtaine d'adolescentes que le hasard de la guerre a fait échouer dans cette localité décident de se rendre dans leur ville d'origine, Walikale, pour subir leurs examens.

 

Quelque 200 kilomètres séparent les deux villes et les filles font une grande partie de la route à pied. C'est dire comme elles tiennent à continuer leurs études!

Sur le chemin du retour, elles sont attaquées par des hommes armés qui les violent et les battent sauvagement. Conséquences physiques de l'agression: un oeil défoncé, plusieurs dents cassées. Et deux grossesses.

Les deux filles enceintes sont catastrophées. Elles n'ont que 16 ans. Le chaos qui agite leur pays les a séparées de leur famille. Elles sont confrontées à une perspective terrifiante: porter l'enfant de l'«ennemi» et être stigmatisées jusqu'à la fin de leurs jours.

Désespérées, elles frappent à la porte d'un organisme qui vient en aide aux victimes de viol: Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral. Ce groupe soigne les blessures physiques et psychologiques, aide les femmes à trouver des moyens de subsistance et à poursuivre leurs agresseurs. Et parfois, aussi, à se faire avorter.

Quand les deux ados sont venues lui dire qu'elles se suicideraient si on ne les aidait pas à mettre fin à leur grossesse, la présidente de cet organisme, Julienne Lusenge, n'a pas réfléchi trop longtemps. «Je ne peux concevoir de laisser une fille de 16 ans dans cette situation», a-t-elle confié quand je l'ai rencontrée cette semaine, à Montréal.

Au lieu de laisser les deux adolescentes se rabattre sur des méthodes artisanales potentiellement fatales, son organisme les a dirigées vers un cabinet médical prêt à pratiquer la délicate intervention. Avec un peu de chance, elles pourront continuer leurs études.

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Revenons à Muskoka et Toronto. Avec la menace qui pèse sur l'euro, la crise des finances publiques et les contrecoups du naufrage bancaire américain, les dirigeants qui s'y réuniront à la fin du mois de juin discuteront, d'abord et avant tout, d'économie et de finances.

Certaines lignes de faille sont déjà connues. L'Europe et les États-Unis veulent imposer une taxe aux banques. Le Canada et la Chine rejettent l'idée. On s'attend à des discussions musclées.

La tradition de ces rencontres veut que parallèlement à ces «sujets chauds», les États s'entendent sur un projet emblématique et rassembleur, qui donne au sommet son image de marque.

Cette fois, il s'agit du programme de santé maternelle et infantile, le «bébé» du gouvernement Harper. Un beau programme - qui exclurait tout groupe qui finance des avortements.

Comme le montre l'exemple congolais, ça risque d'exclure beaucoup de monde. Car l'avortement, c'est souvent le dernier recours offert par des organismes qui consacrent l'essentiel de leurs activités à la santé des mamans et de leurs petits.

Quand il a mis son projet sur la table du G8, le gouvernement conservateur a longtemps hésité avant de confirmer si celui-ci couvrirait les services de planification familiale. Finalement, seul l'avortement sera exclu.

Sauf que sur le terrain, les choses ne sont jamais aussi tranchées. «Les femmes viennent voir des organisations qui offrent des services complets, pas seulement des soins de contraception, ou seulement des avortements», dit Paul Bell, porte-parole de la Fédération internationale de planification familiale.

Dix-neuf millions de femmes subissent chaque année un avortement dans des conditions dangereuses. Huit millions de ces femmes nécessitent des soins médicaux. Et la moitié d'entre elles ne les reçoivent pas.

Présente dans 147 pays, la Fédération donne chaque année un million de «soins médicaux liés à l'avortement». Ce qui inclut des conseils à des femmes profondément troublées par une nouvelle grossesse. Des opérations de sauvetage de femmes en pleine hémorragie pour avoir tenté de «bricoler» un avortement. Et quelque 450 000 avortements par an.

«C'est ça, la réalité», résume Paul Bell. La Fédération a d'ailleurs déjà pu goûter à la médecine canadienne: elle n'a toujours pas reçu de réponse à la demande de renouvellement de sa subvention de l'ACDI qu'elle a présentée... en juin 2009. Un délai très inhabituel, selon Paul Bell. «Le dossier fait l'objet d'un examen», répond-on au bureau de la ministre Bev Oda.

Hillary Clinton l'a dit: la santé reproductive inclut, entre autres, l'accès à un avortement sécuritaire. Le magazine médical The Lancet a dénoncé le caractère «hypocrite» du projet du gouvernement canadien qui ne veut pas permettre ailleurs ce qui est permis chez lui. Mais Stephen Harper persiste et signe: l'avortement, c'est non.

Une crispation idéologique qui est en train de transformer le beau projet emblématique du prochain G8 en une pomme de discorde absurde et inutile.