Au cours des dernières années, la Corée du Nord a multiplié les provocations, créant des crises diplomatiques récurrentes et attirant ainsi les projecteurs sur la planète Kim Jong-il, l'un des régimes les plus secrets du monde.

Mais l'actuelle montée d'adrénaline est d'une intensité sans précédent dans l'histoire récente. Cette fois, Pyongyang ne s'est pas contenté de bomber le torse en procédant à un nouveau test nucléaire. Selon les résultats d'une enquête internationale, ce sont bel et bien des torpilles nord-coréennes qui ont fait couler, en mars, une corvette de la Corée du Sud, causant la mort de 46 marins.

 

Nous sommes ici devant un acte d'agression susceptible de justifier des représailles militaires. Au cours des derniers jours, il y a eu une escalade verbale entre les deux Corées. Séoul vient de suspendre ses relations commerciales avec le Nord.

Le régime nord-coréen, lui, nie être à l'origine de l'attaque et appelle ses militaires à se tenir sur le pied de guerre. Selon des informations qui ont filtré du royaume ermite, les dirigeants nord-coréens auraient orchestré des manifestations massives dans tout le pays. Symbole lourd: les manifestants porteraient l'uniforme militaire.

Après des décennies de guerre froide, et une tentative de «réchauffement» peu fructueuse, sommes-nous au bord d'une confrontation armée? Les experts en doutent. Mais ils prennent aussi la peine de souligner qu'avec la Corée du Nord, toute analyse a des limites. «Je ne fais que spéculer», ont tenu à souligner trois spécialistes de cette région du monde joints dans le cadre de la rédaction de cette chronique.

Même le très réputé International Crisis Group, qui décortique les conflits aux quatre coins du monde, affiche son désarroi face au régime nord-coréen. «Les mécanismes décisionnels nord-coréens sont si opaques qu'il est presque impossible de comprendre les motivations du régime», écrit-il dans une récente analyse.

Au-delà de cet exercice d'humilité face aux desseins nord-coréens, les experts s'entendent sur un certain nombre de choses. Premièrement: la crise actuelle est grave. En torpillant le Cheonan, la Corée du Nord a commis un «geste majeur», dit Christopher Thomson, de l'Université Concordia. Si la Corée du Sud n'a pas encore répliqué à cette attaque, c'est «parce que la diplomatie internationale a vraiment bien fonctionné», croit Laure Paquette, de l'Université Lakehead, en Ontario. En d'autres mots: les Sud-Coréens auraient été justifiés de s'agiter davantage qu'ils ne l'ont fait jusqu'à maintenant.

Deuxième point de consensus: les habituelles «gesticulations nucléaires» nord-coréennes ont beau paraître erratiques, elles ne le sont pas tant que ça. Le régime de Kim Jong-il cherche une reconnaissance internationale, il veut être assuré de préserver ses privilèges. Il a aussi besoin d'argent - et dispose de bien peu de moyens pour faire pression sur les grandes puissances. Un petit test de missile, et voilà que tous les yeux sont tournés vers lui.

Et enfin, la politique étrangère de la Corée du Nord a un lien avec ses éventuelles tensions intérieures. Le vieux leader est malade. On sait bien peu de choses de son fils cadet, pressenti pour lui succéder. Mais il n'est pas impossible que des forces s'agitent dans l'ombre pour s'emparer du pouvoir, après la mort de Kim Jong-il.

Ce dernier n'était peut-être même pas au courant de l'attaque contre le navire sud-coréen, avance Laure Paquette - ce qui alimenterait la thèse d'une sorte de partie de souque à la corde pour la succession à Pyongyang.

Le cas échéant, ce jeu a pris des proportions drôlement dangereuses, avec le torpillage du 26 mars. Sauf que personne n'a intérêt à ce que les choses se dégradent davantage, font valoir les experts. Et c'est ce qui leur fait croire qu'un dérapage militaire est improbable, dans l'état actuel des choses.

La Corée du Sud n'a pas intérêt à déclarer la guerre à son voisin du Nord, dont les missiles peuvent facilement atteindre Séoul. La Corée du Nord, elle, a beau posséder un bel arsenal, elle n'a aucune chance de gagner une confrontation militaire.

La Chine, qui soutient Pyongyang, n'a rien à gagner d'une débâcle économique qui suivrait forcément un engagement militaire. Et les États-Unis, comme on le sait, ont fort à faire en Irak et en Afghanistan.

Mais... il reste toujours un mais. «La péninsule coréenne vit sous la menace d'une guerre depuis plus d'un demi-siècle. La dissuasion mutuelle est robuste, mais une escalade involontaire ou un mauvais calcul est toujours possible», écrit l'International Crisis Group. Comme quoi, nous ne faisons que spéculer...