L'un des arguments les plus absurdes que l'on ait entendus pendant les jours qui ont suivi l'arraisonnement brutal du navire Mavi Marmara, c'est l'affirmation, réitérée plusieurs fois par Israël, selon laquelle les habitants de la bande de Gaza n'ont pas besoin d'aide parce que leurs besoins essentiels sont satisfaits.

C'est vrai que le blocus de Gaza laisse passer juste assez de biens de base pour éviter une grave crise humanitaire. La liste même des produits acceptés aux points de contrôle laisse pantois. La cannelle est autorisée, mais pas la sauge. Les conserves, c'est oui. Mais pas la confiture ni le ciment.

 

S'ils peuvent se passer de leur traditionnel thé à la sauge, les habitants de Gaza souffrent beaucoup des restrictions sur les entrées de ciment. Selon l'agence de l'ONU responsable des réfugiés palestiniens, les trois quarts des maisons détruites durant la guerre de l'hiver 2007-2008 n'ont toujours pas été reconstruites.

Plusieurs familles vivent dans des immeubles à moitié effondrés ou louent des maisons qu'elles n'ont pas les moyens de payer, constate Ashley Bates, journaliste américaine qui vit à Gaza depuis trois mois.

«Les gens ne meurent pas de faim, mais la situation est extrêmement difficile», dit-elle. Selon le commentateur israélien Gershon Baskin, Israël suit les recommandations d'une agence alimentaire de l'ONU qui établit les besoins minimaux à 1800 calories par jour. Mais cela n'empêche pas les carences alimentaires: ainsi, les Gazaouis manquent de protéines, en raison du blocus naval qui restreint l'accès à la pêche.

Le blocus affecte aussi l'approvisionnement en électricité. Les coupures quotidiennes de courant affectent les petits entrepreneurs et contribuent au chômage, qui est endémique.

Les Gazaouis souffrent donc du blocus. Il n'y a d'ailleurs pas de quoi s'étonner, puisque c'était précisément l'un des buts poursuivis par l'État hébreu quand il l'a imposé, il y a trois ans.

À l'époque, les islamistes du Hamas, vainqueurs des législatives de 2006, venaient de prendre le pouvoir dans la bande de Gaza, à l'issue d'une guerre fratricide avec le Fatah, le mouvement fondé par Yasser Arafat. Réagissant à cette prise de contrôle, Israël a voulu non seulement empêcher l'entrée d'armes sur ce territoire ouvertement ennemi, mais aussi isoler le Hamas, et «faire comprendre» aux habitants de Gaza que celui-ci les entraînait à leur perte.

Ce plan a lamentablement échoué. Pour contourner le blocus, les Gazaouis se sont rabattus sur les tunnels et la contrebande depuis l'Égypte. Or, les tunnels sont tombés sous le contrôle du Hamas, qui prélève une taxe sur tous les biens qui y transitent. Un trafic si lucratif que le gouvernement du Hamas a même instauré un ministère des Tunnels!

Ainsi, le Hamas, ce mouvement voué à la destruction de l'État juif, s'est-il enrichi et renforcé grâce au blocus. L'autre part du pari a également échoué: c'est Israël, et non le Hamas, que la population de Gaza blâme pour ses malheurs.

Et ce n'est pas la première fois qu'Israël crée un tel effet boomerang. La dernière guerre du Liban n'a fait que renforcer l'organisation même que l'offensive israélienne voulait combattre: le Hezbollah.

L'opération bâclée contre «la flottille de la paix» s'est elle aussi retournée contre Israël, en soulevant un appel quasi unanime à l'assouplissement du blocus. Y compris à la Maison-Blanche.

C'est d'ailleurs là que le retour du boomerang risque de faire le plus mal à Israël: dans l'effritement de sa sacro-sainte alliance avec les États-Unis.

Le gouvernement israélien actuel, dirigé par une droite radicale, a défié Washington à plusieurs reprises au cours des derniers mois. On n'a qu'à se rappeler l'annonce de la construction de 1600 nouveaux logements dans Jérusalem-Est, au moment même de la visite du vice-président Joe Biden.

Le dérapage sanglant de la semaine dernière ajoute une goutte à cette politique du défi... et c'est peut-être la goutte de trop. Depuis une semaine, on entend à Washington des choses que l'on n'aurait pas imaginé entendre il y a quelques mois. De plus en plus de voix, et pas seulement à l'extrême gauche de l'échiquier politique, estiment que l'amitié entre les États-Unis et Israël n'est plus un atout, mais un fardeau.

Selon un de ces paradoxes dont le Proche-Orient est capable, l'attaque contre la flottille constituera peut-être ce tournant qui poussera Israël à rompre avec la stratégie de la confrontation et à cesser d'agir systématiquement contre ses propres intérêts. Et contre ceux de toute la région.