Un événement passé sous le radar des médias internationaux en dit long sur le climat politique qui règne en Iran, un an après les élections qui avaient précipité des millions d'opposants dans les rues de Téhéran.

Il s'est produit le 3 juin, jour du 21e anniversaire de la mort de l'ayatollah Khomeiny, le fondateur de la république islamique. Depuis deux décennies, la famille de celui que l'on considère comme le père de la révolution iranienne est au coeur de cette commémoration annuelle. Et plus particulièrement son petit-fils, Hassan Khomeiny.

Mais l'an dernier, celui-ci a implicitement appuyé le principal candidat de l'opposition à la présidentielle, Mir Hossein Moussavi. Et il ne craint pas de s'afficher avec les leaders réformistes les plus en vue.

C'est trop pour le régime de Mahmoud Ahmadinejad. La semaine dernière, quand Hassan Khomeiny s'est emparé du micro à la cérémonie commémorant la mort de son grand-père, il a été salué par des huées. «Mort à Moussavi !» a crié une assistance triée sur le volet.

Cet incident a fait de grosses vagues à Téhéran. «Qu'un membre de la famille de Khomeiny ne soit pas autorisé à s'exprimer en public, c'est un fait sans précédent en Iran», dit Golnaz Esfandiari, qui couvre l'actualité iranienne pour Radio Free Europe.

Des leaders modérés ont protesté contre cette mise à l'écart de la famille du «patriarche». Mais des critiques se sont aussi fait entendre dans le camp des conservateurs. Le régime a agi «à l'encontre des objectifs de la Révolution», a dénoncé le député Ali Motahari, qui n'a pas l'habitude de frayer avec les réformistes.

«Cette affaire en dit beaucoup sur ce que l'Iran est devenu depuis un an», dit Geneive Abdo, spécialiste de l'Iran pour The Century Foundation, aux États-Unis.

Selon elle, le régime iranien est miné par de profondes divisions et repose presque uniquement sur la force des armes.

Cet incident montre aussi que le président Ahmadinejad peine à «maîtriser la situation», dit un autre analyste, Houchang Hassan-Yari, politologue au Collège militaire de Kingston. Et que la «Révolution verte», bien qu'affaiblie, est loin d'avoir été éradiquée.

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Il y a un an, des millions d'Iraniens convaincus de s'être fait voler leur vote étaient descendus dans les rues de Téhéran. Pour résister au raz-de-marée, le régime a déployé une machine répressive d'une brutalité sans précédent dans l'histoire récente du pays.

Selon Amnistie internationale, au moins 5000 personnes se sont retrouvées derrière les barreaux depuis un an. Et la justice iranienne ne rigole pas avec les prisonniers politiques. Ceux-ci sont systématiquement torturés. Amnistie internationale répertorie des cas de viol, de simulation d'exécution, de menaces contre les membres de la famille du prisonnier.

Le régime a également renoué avec les exécutions politiques. Il y a un mois, cinq personnes, dont quatre militants kurdes, ont été exécutées.

En un an, le régime a réussi à écraser le pays sous une chape de plomb. Les forces de sécurité sont omniprésentes et les Iraniens, aujourd'hui, savent que «Big Ayatollah» peut écouter leurs conversations téléphoniques et lire leurs courriels. L'Iran vit dans la peur.

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La dernière grande manifestation à Téhéran remonte au mois de décembre 2009. La violence avec laquelle les gardes de la Révolution et les milices des bassidjis ont attaqué les manifestants a fini par décourager les opposants.

À la veille de ce premier anniversaire, ceux-ci ont voulu manifester légalement à Téhéran. Le pouvoir a rejeté leur demande. Hier, les deux figures de proue de l'Opposition, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, ont appelé les Iraniens à ne pas défier le pouvoir et à ne pas manifester. Il est probable que la population suivra leur appel. «Les gens n'ont pas envie d'aller se faire tuer», dit Geneive Abdo.

Mais la résistance n'est pas morte pour autant. Elle prend aujourd'hui d'autres formes, plus dispersées. Chaque samedi, par exemple, des mères dont les enfants ont été arrêtés se rassemblent dans un parc de Téhéran. «Et chaque semaine, la police les attaque, les frappe et les arrête», écrit l'Iranienne Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix, dans un article paru dans The Guardian.

D'autres femmes se rassemblent devant la sinistre prison d'Evin. Des étudiants boycottent des examens dans les universités. «Le calme dans les rues de Téhéran n'est qu'apparent et relatif», dit Houchang Hassan-Yari. Selon lui, l'Iran est en proie à une crise générale qui touche toutes les sphères de la société, des usines jusqu'aux universités.

«Ce qui a changé, c'est qu'il y a aujourd'hui une opposition viable et durable en Iran», dit Geneive Abdo.

Cette opposition a les défauts de ses qualités. Rassemblement accidentel de gens de toute couleur politique, elle n'a pas de stratégie claire. Et pas vraiment de grand leader.

Mais elle fait face à un régime politiquement affaibli, qui a commis une erreur colossale, selon le sociologue américain Ali Akbar Mahdi : «Il a ignoré les demandes d'un large segment de la population et a perdu sa capacité de décoder le peuple.» Résultat : on estime qu'environ 70 % des Iraniens souhaitent la chute du régime.

De plus en plus coupé de son peuple, de plus en plus isolé sur la scène internationale, le régime iranien survit grâce à la répression. Combien de temps cela peut-il durer ? Longtemps, nous enseigne l'histoire. Mais pas indéfiniment.